Enseigner la Shoah en Europe tout un défi


By ELIAS LEVY, Reporter

France, depuis une dizaine d’années, des professeurs de lycées situés dans des banlieues chaudes de la région parisienne font état de leurs difficultés à enseigner la Shoah dans des classes à forte composante maghrébine.

Les panélistes invités à une table ronde sur l’enseignement de la Shoah, qui a eu lieu à l’Institut culturel allemand Goethe de Montréal. De gauche à droite:Lies Schippers de la Maison Anne Frank d’Amsterdam, Frédérick Guillaume Dufour, professeur à l’UQAM, Patrick Siegele du Centre Anne Frank de Berlin, et Emmanuelle Sonntag, coordonnatrice des programmes éducatifs au Centre Commémoratif de l’Holocauste de Montréal.

Un phénomène analogue sévit aussi en Hollande, où des parents de religion musulmane refusent catégoriquement que l’Histoire de la Shoah soit enseignée à leurs rejetons.

“Dans les sociétés européennes de plus en plus multiculturelles, enseigner la Shoah à des enfants d’immigrés, surtout arabo-musulmans, c’est un défi”, a expliqué l’historienne Lies Schippers, responsable des programmes pédagogiques à la Maison Anne Frank d’Amsterdam, au cours d’une table ronde consacrée à l’enseignement de l’Holocauste au Canada et en Allemagne.

Ce panel, qui a eu lieu à l’Institut culturel allemand Goethe de Montréal, a été organisé par le Centre Commémoratif de l’Holocauste de Montréal, le Consulat général d’Allemagne à Montréal et la Chaire de recherche du Canada sur l’Éducation et les rapports ethniques.

Cette table ronde s’inscrivait dans le cadre de la Série Éducative sur l’Holocauste présentée annuellement par le Centre Commémoratif de l’Holocauste dans des écoles et des institutions culturelles de Montréal.

Lies Schippers est la co-scénariste de The Search -La Quête-, une bande dessinée sur la Shoah utilisée dans les écoles secondaires allemandes et hollandaises pour expliquer aux élèves ce que fut cette effroyable tragédie humaine.

À Amsterdam, des écoles sises dans des quartiers où résident des communautés immigrantes musulmanes, majoritairement marocaines, ne visitent pas la Maison et le Musée d’Anne Frank pour ne pas indisposer leurs élèves de confession religieuse islamique et leurs parents, raconta Lies Schippers.

Pour pallier à ce problème, les responsables de la Maison Anne Frank d’Amsterdam ont élaboré un programme pédagogique spécial destiné à ces parents très réfractaires à l’idée que l’Histoire de la Shoah soit relatée à leurs enfants.

“Nous contactons ces familles musulmanes -la majorité d’entre elles parlent mal le néerlandais- par l’entremise des écoles que leurs enfants fréquentent. Nous les invitons à venir visiter la Maison et le Musée d’Anne Frank. Celles qui acceptent participent à un programme éducatif spécialement conçu à leur intention, où l’emphase est mise sur l’antisémitisme aujourd’hui. Ce n’est pas la panacée miracle, mais ce travail éducatif et de sensibilisation est nécessaire pour atténuer la force des préjugés que ces parents musulmans ont sur la Shoah. C’est un travail exigeant et de longue haleine. Nous sommes bien conscients que les résultats escomptés ne seront pas immédiats”, dit Lies Schippers.

Les responsables des programmes éducatifs de la Maison Anne Frank d’Amsterdam ont aussi concocté un programme spécial et un Guide d’action pour les professeurs qui ont de la difficulté à enseigner la Shoah dans des classes où des élèves d’origine musulmane banalisent grotesquement cette tragédie en la comparant avec la situation des Palestiniens en Palestine.

“Dans certaines classes, des étudiants issus de familles musulmanes immigrantes posent des questions aberrantes sur la Shoah, une sinistre tragédie dont certains n’hésitent pas à remettre en question la véracité, et font des remarques grossièrement antisémites. Les enseignants de ces classes difficiles sont déroutés, ils ne savent pas comment composer avec ce problème. C’est pourquoi la Maison Anne Frank a décidé d’élaborer pour eux un programme spécial et un Guide d’action qui leur suggèrent des stratégies d’intervention”, expliqua Lies Schippers.

Responsable des Programmes éducatifs au Centre Anne Frank de Berlin, Patrick Siegele estime aussi qu’on ne peut plus ignorer la dimension “multiculturelle” quand on enseigne à des jeunes l’Histoire de la Shoah.

Aujourd’hui, à Berlin, 80% des jeunes sont issus d’un milieu immigrant. 35% des élèves qui visitent le Centre Anne Frank de Berlin sont nés dans des familles immigrantes, précisa-t-il.

“Nous devons développer de nouvelles approches pour enseigner la Shoah à ces jeunes qui ne sont pas des Allemands de vieille souche. La perception que ces jeunes ont de l’Allemagne nazie et de la Shoah est bien différente de la perception qu’ont les jeunes Allemands dont les parents et les grands-parents ont vécu cette période noire de l’Histoire germanique. On ne peut pas éluder cette différence de perspective historique”, a dit Patrick Siegele.

Un bon nombre de jeunes Allemands issus de groupes ethniques, ajouta-t-il, sont moins sensibles à la tragédie de la Shoah parce qu’ils considèrent que les Communautés dont ils sont issus -les Turcs, les Arméniens, les Palestiniens, les Rwandais…- ont aussi été victimes de persécutions et de tueries abjectes. Par contre, d’autres jeunes Allemands de souche immigrante sont concients que comprendre la Shoah, un crime indicible qui occupe une place centrale dans l’Histoire contemporaine de l’Allemagne, est indispensable pour s’intégrer dans la société allemande.

“Un Allemand ne peut pas rester indifférent face à ce monstre hideux qu’a été la Shoah. Cette tragédie fait partie intégrante de l’Histoire et de l’identité allemandes.”

Frédéric Guillaume Dufour
, auteur d’une thèse de Doctorat en Science politique intitulée “L’ère moderne et la transformation de l’antijudaïsme” -il a obtenu son Doctorat à l’Université York de Toronto-, actuellement professeur au Département de Sociologie de l’Université du Québec à Montréal (U.Q.A.M.), présenta un programme éducatif sur l’Holocauste, piloté par l’Université York, dont il est un des chercheurs associés: The Mark and Gail Appel Program in Holocaust and Antiracism Education: “Learning from the past, teaching for the future” - “Apprendre du passé et enseigner pour le futur”.

Frédéric Guillaume Dufour reconnaît qu’il est très difficile d’enseigner, ou même d’évoquer, la Shoah dans les milieux académiques de gauche.

“Dans les cénacles de gauche, si vous abordez la question de l’Holocauste, vous devenez vite quelqu’un de très suspicieux, dit-il. Pour parler de cette question, vous devez développer des stratégies comparatives fort complexes. En l’occurrence, comparer la Shoah à d’autres tragédies et génocides. Pour les militants de gauche, parler de la Shoah, c’est légitimer la politique d’Israël.”

Emmanuelle Sonntag
, coordonnatrice des Programmes au Centre Commémoratif de l’Holocauste de Montréal, présenta quelques-uns des outils pédagogiques conçus par cette institution à l’intention des professeurs québécois souhaitant enseigner l’Histoire de la Shoah. Parmi ces outils: un nouveau Site Internet comportant de nombreuses entrées éducatives interactives.

“L’enseignement de la Shoah n’est pas obligatoire au Québec, rappela-t-elle. Celui-ci est laissé à la discrétion de chaque enseignant. Les professeurs qui ont décidé d’enseigner ce chapitre funeste de la Deuxième Guerre mondiale, qui sont en contact avec nous, sont demandeurs d’outils, de matériaux pédagogiques pour concevoir leur cours sur la Shoah. Ce sont des pédagogues très motivés et extrêmement enthousiastes, qui ont un souci en général: amener leurs élèves à réfléchir au vivre ensemble. Ils nous demandent régulièrement des outils correspondant au programme de formation de l’école québécoise, cadrant avec la perspective socioconstructiviste qui régit ce programme.”

Cette table ronde sur l’enseignement de la Shoah a été animée par Marie McAndrew, professeure au Département de l’Éducation de l’Université de Montréal.

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