Espionnage et aventure sioniste



Par MEÏR ZAMIR


Dans les coulisses de la création d'un Etat juif, se serait déroulée une guerre secrète, méconnue du grand public. Celle qui a opposé le Mouvement sioniste et les Français d'un côté aux Britanniques et Arabes de l'autre.

Tel est du moins le fruit des recherches effectuées par Meïr Zami. Ce professeur à l'université Ben Gourion appuie sa théorie sur des documents confidentiels, récemment découverts dans les archives françaises, et nous livre une version édifiante de l'histoire de la création de l'Etat hébreu

Le 18 février 1948, des représentants d'une compagnie suisse rencontraient secrètement des émissaires égyptiens et jordaniens dans les bureaux de Hector McNeill, ministre britannique des Affaires étrangères.

Une rencontre discrète qui avait pour but de finaliser les détails d'une vente d'armes. La transaction, d'une valeur de 140 millions de dollars, aurait, si elle avait abouti, totalement modifié l'équilibre militaire entre les Etats arabes et le futur Etat d'Israël.

Ce qui prenait officiellement l'allure d'un contrat entre la compagnie suisse Friedli & Kauffman et le gouvernement éthiopien était en réalité un transfert d'armes à destination de l'Egypte, de la Jordanie et d'autres Etats arabes.

Le tout sous couvert du bureau britannique des affaires étrangères qui arbitrait l'affaire dans un secret absolu puisque la vente violait l'embargo sur les armes imposé par l'ONU dans la région à l'encontre des Juifs et des Arabes.

Les Etats-Unis, les premiers à soutenir l'embargo, n'auraient sans doute pas tardé à réagir violemment s'ils avaient été au courant du double jeu mené par les Britanniques.

Mais les renseignements français ont été informés de la véritable nature de la vente "suisso-éthiopienne", via l'Agence juive. Leurs agents ont immédiatement pris les représentants de l'entreprise suisse en filature entre Genève, Londres et Le Caire et mis sur écoute leurs conversations téléphoniques.

La vente finira par capoter quand le gouvernement suisse découvrira la véritable destination des armes et que son homologue éthiopien refusera de transférer la marchandise à un Etat tiers.

Cette transaction n'est qu'un épisode de la guerre de l'ombre qui a opposé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale la France à la Grande-Bretagne, les deux grandes puissances coloniales du Moyen-Orient, aujourd'hui découvertes grâce à l'ouverture d'archives françaises.

Diplomatie secrète au Moyen-Orient

Une des principales révélations mise en évidence : les services secrets français étaient parvenus à infiltrer le ministère des Affaires étrangères syrien, entre 1944 et 1949.

Ils avaient ainsi accès à des centaines de documents originaux de l'époque. Comme par exemple : les correspondances top-secrètes du président syrien Shukri al-Quwatly avec les Britanniques et les leaders arabes voisins (le roi Farouk d'Egypte, le roi Ibn-Saud d'Arabie Saoudite, le roi Abdallah de Jordanie et le régent irakien, Abd-al-Ilah).

Ou encore : les télégrammes envoyés à Damas par les ambassades syriennes de Londres, Washington, Moscou, Paris et de différentes capitales arabes. La correspondance syro-britannique, en particulier, confirme les accusations du général Charles de Gaulle, qui a toujours soupçonné la Grande-Bretagne d'avoir sciemment orchestré la crise syrienne de l'été 1945.

Ce qui a été décrit comme le soulèvement héroïque des nationalistes syriens, ayant expulsé les Français de leur pays, avait en fait été planifié par les Britanniques, désireux de chasser la France du Moyen-Orient et d'établir une fédération arabe sous leur hégémonie.

L'alliance britannique avec la Syrie a ensuite permis à la Grande-Bretagne d'exercer un contrôle considérable dans la région jusqu'en 1948, et aura des implications considérables dans la lutte pour la création de l'Etat d'Israël. De Gaulle n'a en effet jamais pardonné à la Grande-Bretagne de l'avoir ainsi trahi.

Et dans le sillage de son opposition aux Britanniques, la France s'est secrètement alliée au Mouvement sioniste. C'est de cette étroite collaboration entre les services de renseignements français et ceux de la Haganah qu'est né l'Etat juif.

Autre initiative des renseignements français
: ils avaient placé une taupe au sein de la représentation diplomatique britannique à Beyrouth - qui deviendra après la Seconde Guerre mondiale un important centre des activités politiques britanniques au Moyen-Orient. L'infiltré faisait passer les copies de documents top-secrets comprenant des noms et des noms de code d'agents du renseignement britannique.

Ainsi, par exemple, le n° 325 était Mohsen al-Barazi, secrétaire particulier du président syrien Shukri al-Quwatli, qui allait devenir Premier ministre de Syrie sous le président Husni Zaïm. L'espion transmettait également des reçus de très importants pots-de-vin accordés par des officiers britanniques du renseignement à des dirigeants arabes, ou d'accords avec des politiciens arabes pour les encourager à coopérer avec la Grande-Bretagne.

Grâce aux informations relayées par l'agent français, la légation britannique à Beyrouth a été la cible, le 15 décembre 1947, d'une opération de la Haganah. Aux environs de treize heures quarante-cinq, une vingtaine de combattants de la milice juive s'est emparée d'un camion britannique, au sud de Saint-Jean-d'Acre.

Les hommes, armés mais habillés en civil, ont confisqué près de cinq cents kilos de documents, empaquetés dans huit containers scellés, en acier, et dans douze sacoches de la valise diplomatique.

Documents qui avaient été envoyés par l'ambassade britannique à Beyrouth au port de Haïfa, d'où ils auraient dû être expédiés par bateau vers la Grande-Bretagne. Les Britanniques firent tout pour minimiser l'importance des documents détournés, mais il semble au contraire qu'ils étaient d'une extrême importance.

Aujourd'hui retrouvés dans les archives françaises, ils fournissent un rare aperçu du modus operandi du corps diplomatique britannique au Moyen-Orient. Après la guerre, les renseignements britanniques ont mis sur pied une chaîne d'agents et d'indicateurs autour de chaque président ou roi arabe, y compris de leurs fidèles alliés, les souverains hachémites d'Irak et de Jordanie.

Les Britanniques ont ainsi tiré les ficelles dans un monde arabe très divisé, en particulier en ce qui concernait la question du conflit entre Juifs et Arabes en Palestine de 1947 à 1948.

Ils ont exercé une influence considérable sur certains politiciens arabes dont ils voulaient s'assurer la loyauté : comme le Syrien Quwatly, son Premier ministre Jamil Mardam, le Premier ministre libanais Riyad al-Suhl, ou encore d'Abd al-Rahman Azzam, secrétaire général de la Ligue arabe.

Par exemple, c'est suite à une requête britannique en juillet 1947 que Quwatly a écrit au roi Farouk d'Egypte, le mettant en garde contre toute collaboration avec la France qui soutenait alors le Sionisme.

Suhl et Azzam ont eux aussi joué des rôles clés dans les activités secrètes de la Grande-Bretagne en Palestine, durant les mois critiques entre le vote du plan de partage de l'ONU le 29 novembre 1947 et l'établissement de l'Etat d'Israël le 14 mai 1948.

Fin avril, début mai, Suhl a servi de médiateur pour parvenir à un accord entre la Jordanie, l'Irak et l'Egypte sur l'invasion du futur Etat juif. Azzam, qui selon les sources françaises et égyptiennes était soudoyé par les Anglais, répondait aux ordres d'Itlyd Clayton, un homme de l'ombre, officiellement un officier de liaison britannique avec la Ligue arabe. Azzam a contribué à façonner la politique arabe en Palestine, alors que la Ligue arabe, en absence d'un gouvernement palestinien, représentait la cause palestinienne.

La Grande-Bretagne en campagne contre l'Etat juif


Le rôle de la Grande-Bretagne dans le conflit entre Juifs et Arabes en Palestine en 1948 est aujourd'hui encore sujet de controverse pour les historiens.

L'ouverture d'archives britanniques aux chercheurs dans les années 1980 n'a pas dissipé la polémique, bien au contraire. Selon les documents récemment retrouvés dans les archives françaises, les Britanniques ont employé en 1948 les mêmes tactiques contre les Sionistes que celles utilisées trois ans plus tôt contre les Français en Syrie et au Liban.

A l'époque, Ernest Bevin, ministre britannique des Affaires étrangères, affirmait que Londres n'avait de cesse que de mettre fin à son mandat en Palestine et de rester neutre dans le conflit entre Juifs et Arabes.

Pourtant, sur le terrain, le corps diplomatique britannique soutenait les Arabes et mettait tout en œuvre pour faire obstacle à la création d'un foyer juif.

En 1947-1948, la Grande-Bretagne s'empressait de conclure des traités de défense avec les pays arabes, pour sécuriser ses positions stratégiques et ses intérêts économiques (pétrole) dans la région, face à la menace soviétique.

Les archives françaises attestent de l'usage cynique de cartes "sioniste" et "communiste" par les Britanniques dans une volonté de persuader les leaders arabes de s'allier à eux.

Des officiels britanniques de très haut rang ont délibérément cherché à attiser les craintes des Arabes, en insistant lourdement sur le fait que seule une coopération avec la Grande-Bretagne pourrait les protéger contre l'invasion judéo-sioniste.

Dès le début 1948, les Britanniques faisaient rimer sioniste avec communiste. Les Anglais étaient pris au piège : soutenir la partition de la région et la création d'un Etat juif provoquerait une opposition du monde arabe contre eux, mais soutenir la position arabe allait conduire à l'hostilité des Etats-Unis.

Et de fait, alors que la Guerre froide s'intensifiait en Europe, les agissements britanniques avaient un impact considérable sur les départements d'Etat et de la défense américain. Alors que la politique britannique de l'époque s'employait à persuader les Etats-Unis de s'aligner sur leur vision du Moyen-Orient.

Pour dissuader les Français de soutenir les Sionistes, les diplomates anglais agitaient sous leurs yeux le spectre du danger d'un Etat juif qui deviendrait le cœur d'un réseau communiste dans la région.

S'ils reconnaissaient que Ben Gourion n'était pas pro-communiste, les Britanniques prévenaient de l'influence grandissante de la gauche pré-israélienne, et en particulier au sein de la Haganah. Ils affirmaient en outre que le Lehi (groupe souterrain résolument antibritannique) était infiltré d'agents soviétiques.

De leur côté, les Français avaient identifié deux approches de la crise en Palestine au sein des officiels anglais : l'approche "Clayton" et l'approche "Glubb". L'approche Clayton préconisait que le Royaume-Uni concentre son influence sur l'axe irako-syrien et renonce au plan d'une Grande Syrie (incluant la Syrie, la Jordanie, la Palestine et le Liban).

Le plan d'une Grande Syrie prévoyait de diviser la Palestine dans le but de convaincre les leaders arabes de conclure une alliance militaire avec le Royaume-Uni.

La Syrie aurait reçu la Galilée ; l'Irak aurait eu accès au port de Haïfa, où arrivaient les oléoducs irakiens et où se trouvait une raffinerie ; la Jordanie aurait reçu la Judée-Samarie et une grande partie du Néguev ; l'Egypte aurait annexé le versant palestinien de la côte méditerranéenne.

L'approche Glubb, du nom de John Bagot Glubb, commandant britannique de la légion arabe de Jordanie, préconisait-elle que les Britanniques s'allient au roi Abdallah de Jordanie et continuent de promouvoir le plan d'une Grande Syrie.

La grande majorité de la Palestine aurait alors été incorporée à la Jordanie. Les deux plans envisageaient de résoudre la question juive en créant soit une entité autonome au sein d'une Grande Jordanie, soit un plus petit Etat juif sur la côte situé entre Atlit (au sud de Haïfa) et Tel-Aviv, clairement non viable, qui n'aurait compromis ni les intérêts britanniques ni ceux des pays arabes.

Le refus de l'Irak de ratifier son traité avec la Grande-Bretagne en janvier 1948, vint en faveur de l'option jordanienne. En février, le Premier ministre jordanien s'envolait pour Londres accompagné de Glubb, où il signa un nouveau traité anglo-jordanien.

Des rapports français décrivent en détail les répercussions des échecs des Britanniques en Irak sur leur politique en Palestine. Ben Gourion, bien informé par Eliahou (Elias) Sasson, directeur de la branche arabe du département politique de l'Agence juive, écrit lui-même le 7 mars dans son journal : "Clayton est venu en Syrie. Les Anglais veulent faire de la Syrie leur base, après avoir échoué en Irak et en Egypte. La situation dans le monde arabe est difficile - des manifestations en Irak et les tentatives du Royaume Uni d'orienter les pensées des Arabes vers la Palestine."

Que savait Ben Gourion ?
La collaboration franco-sioniste

David Ben Gourion, président de l'Agence juive, et Moshé Sharett (Shertok), chef de son département politique, étaient au courant du double jeu britannique. Ils recevaient des informations non seulement des services secrets de la Haganah, mais aussi directement des services de renseignements français.

Les informations fournies par les Français en 1948, y compris par leur agent à Damas, furent cruciales aux deux leaders sionistes pour faire la lumière sur le complot des Britanniques et des Arabes.

Une note française écrite à la veille de la visite de Sharett à Paris en avril 1946, définit la collaboration avec le mouvement sioniste en ces termes : "La collaboration envisagée pourrait opérer dans un champ très vaste. Il serait suffisant de disposer d'un accord de principe, renforcé par une discrète collaboration, un échange d'informations et à des intervalles réguliers, des décisions conjointes sur la politique à suivre. Les principaux intéressés par ce partenariat, les chrétiens du Liban, ne devraient pas être au courant des accords entre ses protecteurs. Il est clair que la collaboration franco-sioniste pourra opérer en d'autres endroits, sans même être exposée : l'étude du développement des tendances politiques, sociales, culturelles et économiques au Moyen-Orient, la politique en Afrique du Nord ou l'agenda international."

La note révèle que l'un des principaux objectifs de la collaboration franco-sioniste concernait la protection des chrétiens du Liban. En mai 1946, les Français ont secrètement promu un accord entre l'Agence juive et l'église maronite.

La collaboration franco-sioniste était ainsi motivée par des intérêts communs. Outre leur désir de revanche sur les Britanniques, les Français étaient également très inquiets de la subversion anglaise en Afrique du Nord.

Les documents du ministère syrien des Affaires étrangères révèlent que les diplomates britanniques du Caire tentaient effectivement de déstabiliser les positions françaises en Afrique du Nord, incitant même les leaders arabes à y agir contre les Français.

Le secrétaire général de la Ligue arabe, Azzam, collaborait étroitement avec Clayton sur ce terrain. Quand des officiels français se sont plaints des activités subversives de Clayton en Afrique du Nord, à l'occasion d'une rencontre avec leurs homologues britanniques mi-février 1948, ils n'ont reçu que des réponses très évasives.

Pour l'armée française, une victoire arabe en Palestine aurait renforcé la Syrie, centre de l'activité antifrançaise, et menacé ses positions en Afrique du Nord.
Quant au Mouvement sioniste, son alliance avec la France était primordiale pour faciliter l'immigration clandestine et l'acquisition d'armes.

Les Français étaient très soucieux de dissimuler leur collaboration avec l'Agence juive. La France, enfoncée dans une crise politique et économique, avait désespérément besoin du soutien du Royaume-Uni pour s'affirmer en tant que grande puissance.

Elle ne pouvait se permettre de provoquer l'hostilité des Britanniques en collaborant avec les Sionistes. En outre, les Français craignaient la réaction du monde arabe, où ils avaient encore des intérêts considérables, ainsi que des musulmans d'Afrique du Nord, si leur soutien à la cause sioniste était révélé.

Les services secrets français ont ainsi redoublé d'efforts pour assurer la couverture de leur agent à Damas et restaient extrêmement prudents dans la transmission de documents à l'Agence juive. Une poignée seulement de membres de l'Agence juive était au courant de la collaboration avec la France.

Il s'agissait de Ben Gourion, Sharett, Reouven Shiloah (Zaslany), chef des services secrets de l'Agence juive, Eliahou Sasson, chef de la branche arabe de son département politique, Morris Fisher, représentant de l'Agence juive à Paris (ancien membre des renseignements de la France libre de De Gaulle en Syrie et au Liban), Touvia Arazi, chef des services secrets de la Haganah à Haïfa et Eliahou Epstein (Elath), représentant de l'Agence juive américaine.

Né à Damas, Eliahou Sasson était un spécialiste du monde arabe. Il a été le premier à prévoir que les Etats arabes entreraient en guerre. Et surtout, que le roi Abdallah de Jordanie, après être tombé dans le piège britannique, serait dans l'incapacité de signer un accord de partition de la Palestine avec l'Agence juive.

Sasson assurait la liaison entre le consulat de France à Jérusalem et le Mouvement sioniste. Il est resté en position, dans la Jérusalem assiégée, jusqu'en avril 1948, quand l'ambassade a été prise d'assaut par les troupes arabes.

Il est alors parti pour Paris, où il consultait directement les informations envoyées par les agents français au Moyen-Orient. La France a toujours soupçonné les Britanniques d'avoir découvert la collaboration secrète franco-sioniste et commandité l'attaque de leur ambassade.

La Grande-Bretagne force les Etats arabes à entrer en guerre

Se confiant à leurs homologues français en février et mars 1948, les diplomates britanniques étaient convaincus que les Etats-Unis renonceraient tôt ou tard à soutenir la création de l'Etat hébreu, craignant la violence de la résistance arabe.

Un diplomate britannique aurait prédit que le siège de Jérusalem - dont les
100 000 habitants souffraient du manque d'eau et de nourriture - finirait par faire capituler Ben Gourion.

Il aurait alors été remplacé par un leader plus modéré, comme Yehouda Magnes, président de l'Université hébraïque, qui aurait accepté la solution d'un Etat binational.

Les espoirs des Anglais et des Arabes étaient renforcés par l'opposition grandissante au plan de partage de l'ONU au sein du département d'Etat américain. Mais ils furent déchus en avril, après la contre-attaque de la Haganah et l'occupation des villes mixtes de Tibériade, Safed, Jaffa, Saint-Jean-d'Acre et Haïfa.

Il s'agissait d'un message clair aux pays arabes, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis : les Juifs de Palestine étaient déterminés à gagner la guerre et à établir un Etat indépendant et souverain.

Quand des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens se sont dirigés vers leurs frontières, les dirigeants arabes ont eu le sentiment soudain de ne pas être prêts à une confrontation totale.

Alors que les commandants de l'armée égyptienne avertissaient le roi Farouk qu'ils ne disposaient pas de suffisamment d'armes ni de munitions, le Premier ministre libanais, Suhl, admettait que "si les Juifs veulent s'emparer de Beyrouth, ils peuvent le faire sans difficulté".

C'est au cours de ces semaines cruciales, fin avril, début mai, que les Britanniques ont mené leur coup le plus sournois, manipulant délibérément les leaders arabes et les persuadant d'entrer en guerre contre l'Etat juif.

La Grande-Bretagne avait effectivement tout à y gagner. Interrogé par un officiel français sur un éventuel conflit entre l'Etat juif et ses voisins arabes, un diplomate britannique aurait répondu qu'un tel conflit n'était pas forcément une mauvaise chose.

Une victoire arabe ne pouvait que renforcer l'influence et le prestige britannique au Moyen-Orient. Mais dans le cas d'une défaite, les dirigeants arabes affaiblis chercheraient sans aucun doute le secours britannique.

Lors d'une rencontre entre Golda Meïr et le roi Abdallah le 11 mai - alors que l'Agence juive tentait de convaincre le souverain jordanien de ne pas entrer en guerre - le chef de cabinet du souverain jordanien, Mohammed al-Zubati, a confié à Ezra Danin, l'interprète qui accompagné Golda Meïr, que "c'étaient les Britanniques qui les poussaient, lui et les Irakiens.

C'est parce que ces derniers ont refusé de signer un quelconque traité que les Britanniques veulent les envoyer au front, afin qu'ils essuient une défaite cuisante et reviennent à genoux."

Selon l'ambassadeur français au Caire, le roi Farouk n'aurait décidé de se joindre aux forces arabes qui venaient d'envahir l'Etat d'Israël qu'après avoir reçu l'assurance de la Grande-Bretagne qu'elle lui fournirait armes et munitions depuis ses dépôts du canal de Suez.

Ce serait le même Azzam, soudoyé par les Britanniques, qui aurait convaincu le roi et son Premier ministre, Mahmud Fahmi al-Nuqrashi, d'abord réticents. Selon des diplomates français du Caire, des représentants britanniques positionnés en Lybie aidaient même les volontaires d'Afrique du Nord à rejoindre les rangs des combattants arabes en Palestine.

Une note de l'espion français à Beyrouth datant du 11 mai éclaire d'un jour nouveau l'implication des Britanniques dans la guerre d'Indépendance. Il s'agit de la retranscription des débats ayant eu lieu entre les membres de la Ligue arabe, réunis à Damas, la veille de l'invasion.

Il y est souligné que les dirigeants arabes hésitaient à entrer en guerre et étaient prêts à endosser l'initiative américaine - qui prônait de retarder le retrait des forces britanniques de dix jours et de poursuivre les efforts diplomatiques pour éviter le conflit - et que c'est la Grande-Bretagne qui les a forcés à suivre le roi Abdallah et à attaquer l'Etat juif.

L'assaut de quatre implantations juives du Goush Etzion par les troupes arabes le 12 mai, commandé par le général britannique Glubb Pasha, n'avait qu'un seul but : prouver aux leaders arabes la supériorité militaire de la légion. (Des dizaines d'habitants juifs qui s'étaient rendus ont été assassinés et 320 survivants ont été faits prisonniers à Amman.)

La note de l'agent français révèle également que les Britanniques ont à la dernière minute modifié le plan d'attaque des pays arabes. Selon le plan initial, les forces irakiennes et jordaniennes devaient envahir Haïfa, alors que les troupes syriennes se chargeaient de la Galilée, depuis Bint Jbail au Liban.

Mais les Britanniques ont convaincu leurs alliés de changer de stratégie, après avoir persuadé les rois Abdallah et Farouk de mener la guerre. Pour eux, l'armée égyptienne devait attaquer Tel-Aviv depuis les villes arabes de Lydda et Ramlé. Les troupes irakiennes et syriennes étaient alors reléguées au second plan.

Les Irakiens, prêts à attaquer depuis Bint Jbail, ont été forcés de partir pour Kuneitra, dans les hauteurs du Golan, perdant un temps précieux.

La première partie de ce rapport fut encodée et télégraphiée le 12 mai à l'ambassade de France à Jérusalem.

Puis le soir même, transmise à Shiloah, homme de confiance de Ben Gourion, accompagnée d'une note ajoutée par les officiers de liaison israéliens : "Cette information sur les forces arabes nous a été envoyée par nos amis français à Beyrouth. Leurs rapports sont généralement exacts."

L'information relayée par les Français était cruciale. Trois jours avant l'assaut arabe, Ben Gourion prenait connaissance des plans de ses voisins et du fait que l'Egypte se joignait au conflit. Il recevait des informations sur la taille des forces arabes impliquées et la nature de l'offensive. Il était informé du fait que Tel-Aviv serait la cible principale de raids aériens.

Dans les jours qui allaient suivre, un agent français a vraisemblablement été dépêché de Beyrouth à Haïfa pour assurer de vive voix les Israéliens de la véracité des informations relayées.

Ben Gourion a en outre dû recevoir des informations par l'intermédiaire de Moshé Sharett, qui quitta New York le 9 mai pour Paris sur un vol Air France, avant de rentrer à Jérusalem deux jours plus tard. Sa sœur Yaël, qui l'accompagnait, se souvient qu'il s'était entretenu à l'aéroport avec des "visages familiers".

Parmi eux : Sasson, arrivé à Paris plus tôt en mai pour accélérer la transmission des informations depuis la capitale française à Ben Gourion. Il s'agissait certainement de tenir Sharett au courant des décisions de dernière minute prise par les dirigeants arabes à Damas.

Tard dans la nuit du 12 mai, 10 des 13 membres du gouvernement provisoire israélien, ont pris, par une majorité de six contre quatre la décision historique d'établir en Palestine un Etat juif indépendant. Le 14 mai, lors d'une cérémonie au musée de Tel-Aviv, Ben Gourion proclamait la naissance de l'Etat d'Israël. Le lendemain, les forces arabes attaquaient.

Le 7 novembre 1945, Cons-tantine Zurayk, diplomate à l'ambassade syrienne à Washington, informait le ministre syrien des Affaires étrangères d'une discussion qu'il avait eu avec un représentant du département d'Etat américain.

Selon lui, alors que les Etats-Unis mettaient tout en œuvre pour parvenir à un accord entre Juifs et Arabes en Palestine, la Grande-Bretagne tirait profit du conflit pour assurer sa mainmise sur le monde arabe.

Et elle n'y mettrait pas fin avant qu'un bain de sang n'inonde la Palestine, prévenait-il.

Deux ans et demi plus tard, ses propos allaient se confirmer.

L'auteur est professeur au département d'Etudes du Moyen-Orient à l'Université Ben Gourion du Néguev.

http://fr.jpost.com/servlet/Satellite?apage=1&cid=1229868816694&pagename=JFrench%2FJPArticle%2FShowFull

0 commentaires: