Isser Harel, le fantasme de l'espion.



Isser Harel.
Photo: Knesset , JPost

Par ANICA POMMERAY


"Personne ne faisait autant trembler les ennemis d'Israël qu'Isser Harel", écrivait un journaliste du Guardian en février 2003.

Né en 1912 à Vitebsk (actuelle Biélorussie), Israël - "petit Isser" - Halperin semblait prédestiné à l'intrigue : jusqu'à aujourd'hui, la date exacte de sa naissance reste un mystère, en raison de la disparition du livre dans lequel elle était inscrite. Dans le contexte douloureux de la Révolution de 1917, la riche famille Halperin est dépouillée de ses terres avant de quitter l'Union soviétique pour la Lettonie. Spectateur du caractère assez sombre dont peut faire preuve la nature humaine, le jeune Isser apprend rapidement à discerner ses amis de ses ennemis.

Sioniste de la première heure, il entame à seize ans ses préparatifs d'aliya. Trop jeune pour obtenir un visa britannique et un aller simple pour la Terre promise, il doit attendre la majorité pour réaliser son rêve. Au terme d'un long périple passant par Varsovie, Vienne et Rome, c'est à Genève qu'il embarque finalement pour la Palestine mandataire. Au fond de ses bagages, Isser dissimule un pistolet dans une miche de pain. Les romans policiers de son enfance lui forgent déjà un caractère aventurier.

A son arrivée au Yishouv, Halperin - devenu Harel - se lance dans l'agriculture et contribue à l'établissement du kibboutz Shefaim. Ses premières ambitions le rattrapent pourtant et c'est au service du Shaï - division de renseignements de la Haganah - qu'il fait ses premières armes d'espion. Malgré un sens de l'humour "assez pauvre" et sa petite taille (1 mètre 50), Harel se distingue rapidement comme un homme d'action autoritaire et efficace, lui valant quelques surnoms plutôt évocateurs tels que "Napoléon" ou encore "Isser le Terrible"...

On l'appelle Hamemouneh

Fondateur du Shin Bet (ou Shabak, services israéliens de sécurité intérieure), en 1948, Harel concentre ses efforts à la fois sur le démantèlement des organisations clandestines juives, l'Irgoun et le Stern, et sur les adversaires politiques de son Premier ministre, David Ben Gourion.

Il succède, à 40 ans, au premier directeur du Mossad (services secrets israéliens) Reuben Shiloah, tout en conservant les rênes du Shabak. Une première en Israël. Surnommé "Hamemouneh" (le responsable), Isser Harel devient une institution à lui tout seul aux yeux du monde entier. Sa priorité : tisser des liens étroits avec les agents de la CIA qu'il abreuve régulièrement d'informations sur l'Union soviétique. En mai 1956, le Mossad prend définitivement des allures de modèle en matière d'espionnage, lorsque Harel transmet à son homologue américain, Allan Dulles, une copie du rapport secret de Nikita Khrouchtchev - dans lequel il révèle les crimes de Staline, au cours d'une session à huis clos du 20e Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique. Victoire pour le camp occidental. Séisme en Europe de l'Est.

Animé par un profond espoir de paix régionale, Harel tente en 1955 d'organiser une rencontre entre Ben Gourion et le président égyptien Gamal Abdel Nasser. La tentative échoue néanmoins un an plus tard avec la crise de Suez. Il se lance alors sur un autre front et choisit de nouer des relations privilégiées avec le roi Hassan du Maroc, qui accepte le départ de 80 000 Juifs nationaux en échange de précieux renseignements sécuritaires. Harel tente par ailleurs de réaliser le vieux rêve d'"alliance périphérique" entre l'Etat hébreu et les nations "non arabes" de la région.

Suite à une rencontre en 1957 avec Taimur Bakhtiar, premier directeur du Savak - services secrets iraniens -, Harel poursuit son rapprochement avec Téhéran, puis Ankara, en créant le "réseau Trident", destiné à "contrer l'inondation égypto-soviétique". Dans sa lancée, il contribue également à armer les Kurdes irakiens et à construire des bases militaires en Turquie et en Ethiopie grâce aux financements secrets de la CIA.

Coup de maître

S'il fallait pourtant résumer la carrière d'Isser Harel à un événement historique, il s'agirait sans hésitation de la capture de l'ancien SS allemand, Adolf Eichmann. L'opération est unanimement reconnue par les services secrets du monde entier comme l'un des enlèvements les mieux orchestrés. En Argentine, où Eichmann se cachait sous le nom de "Ricardo Klement", une équipe de
11 agents a été déployée. L'enquête dure près de deux ans avant de confirmer définitivement l'identité du suspect.

Finalement, le 11 mai 1960, Eichmann est enlevé à la descente d'un autobus. Drogué, il est conduit à l'aéroport de Buenos Aires où les agents israéliens se font passer pour l'équipe médicale d'un prétendu "passager malade" à destination de Tel-Aviv. La voie est libre, l'ancien fonctionnaire nazi est embarqué.

Paradoxalement, c'est à la même période que les choses commencent à se corser pour le grand maître de l'espionnage. Dans ses mémoires, Ben Gourion raconte "l'amertume" de Harel lorsque, en 1959, Moshé Dayan et Shimon Peres rejoignent le nouveau gouvernement "et pas lui".

Deux ans plus tard, il apprend que des chercheurs allemands assistent Le Caire dans la fabrication de bombes non conventionnelles. Ben Gourion refuse pourtant d'intervenir de peur de mettre en danger les fragiles relations diplomatiques entre Israël et le gouvernement ouest-allemand. En leader zélé qu'il était, Harel entreprend, contre l'avis du Premier ministre, de lancer l'opération Damoclès, visant des chercheurs allemands et leurs familles - via des enlèvements et des lettres piégées - entraînant la mort d'au moins cinq personnes. L'affront lui coûtera sa place : sous la pression du gouvernement, il démissionne le 25 mars 1963.

L'ère post-Mossad sera ponctuée d'une très courte carrière politique. A l'aube des élections de 1969, il adhère au tout jeune parti "Liste nationale" de Ben Gourion et rejoint les bancs de la 7e Knesset. La formation ne survit pas, cependant, au départ de son dirigeant et la vie politique d'Harel s'achève en 1973. La suite est moins connue. Le "petit Isser" finit sa vie loin des regards et s'éteint le 18 février 2003, à l'âge de 91 ans.


"Si vous vous trouviez dans la même pièce qu'Isser et une centaine d'autres personnes, vous ne l'auriez même pas remarqué. Il était petit et discret. Il avait une capacité d'analyse très aiguë et savait immédiatement tirer les bonnes conclusions dans toutes les situations", raconte Moshé Tabor, l'un des agents israéliens recrutés pour l'opération Eichmann.

Respect et admiration. C'est ce que semble, encore aujourd'hui, inspirer cette figure mythique de la scène publique israélienne. Véritable modèle d'espionnage aux yeux du monde entier, Isser Harel continuera d'incarner l'intelligence et l'efficacité avec lesquelles l'Etat d'Israël a, aussi, forgé son identité.

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