L'après-Gaza: un antisémitisme nouveau


Exclue de la Tchétchénie de Poutine, de l'Ouzbékistan d'Islam Karimov ou de la Chine de Hu Jintao, qui tous oppriment des populations musulmanes, Amnistie internationale mène librement son enquête à Gaza. Avant même que cette dernière ne débute, le jugement de sa principale déléguée pour Israël et les territoires palestiniens paraît arrêté: «[Les Israéliens] qui ont donné les ordres, et même ceux qui ont appuyé sur la gâchette, ne devraient pas planifier de vacances à l'étranger.»

De son côté, l'Espagne du socialiste José Zapatero ne voit rien d'indécent à juger des juifs israéliens pour leur rôle présumé dans des incidents survenus à Gaza en 2002, cette Espagne dont Léon Poliakov disait qu'elle pratiquait, quatre siècles après avoir expulsé ses juifs et livré les «convertis» aux bûchers de l'Inquisition, «un antisémitisme sans juifs».

L'Espagne est typique de la gauche occidentale actuelle, adepte de ce que Michel Foucault qualifiait de «polyvalence tactique du discours», soit l'art de cibler indéfiniment la même victime tout en recyclant ses arguments selon les théories du jour.

Un antisémitisme global

Pour la première fois dans l'histoire, l'antisémitisme est devenu global. Passé de la droite à la gauche en Occident, il rejoint l'antijudaïsme de l'Islam radical. Distinct de l'antisionisme jusqu'à récemment, il va maintenant de pair avec lui.

L'antisémitisme nouveau est postmoderne. C'est un syncrétisme, un mélange disparate de causes justes et de prétentions totalitaires. Il défend pêle-mêle l'environnement, les pays sous-développés, l'islamisme et les idéaux égalitaires de la gauche; il professe le pacifisme dans le même souffle qu'il s'accommode de l'attentat suicide comme «arme des faibles»; il condamne la mondialisation sauvage et le capitalisme, mais aussi la «conspiration juive» comme concurrente des aspirations avouées des djihadistes d'établir une «République islamique» à l'échelle de la planète; il pourfend l'Occident et son appendice «impérialiste» Israël, dont l'existence même lui semble une violation intolérable de la «terre d'Islam», terre pourtant elle-même conquise par l'impérialisme arabe, puis musulman, à partir du VIIe siècle.

Polyvalent dans son discours syncrétique, l'antisémitisme du XXIe siècle regroupe tactiquement les mouvements les plus hétéroclites: l'islamisme radical (qu'il soit chiite, comme celui du Hezbollah ou d'Ahmadinejad, qui réclament l'anéantissement d'Israël, ou sunnite, à l'instar du Hamas, dont le but est de tuer tous les juifs de la terre); la droite révisionniste, qui met en doute la réalité de l'Holocauste bien que l'Allemagne elle-même reconnaisse l'avoir perpétré et enseigne ce fait dans ses écoles; le mouvement altermondialiste, auquel appartiennent des juifs de gauche, qui dénonce la protection excessive que recevrait Israël des États occidentaux, tout en disant ce pays trop petit (tiny) pour pouvoir résister à un boycottage qu'il appelle de tous ses voeux; des pacifistes de la trempe de ces Québécois qui prêchent la retenue aux Israéliens victimes des roquettes palestiniennes depuis huit ans mais qui, exaspérés après seulement quelques jours d'un blocus établi par les «Warriors» mohawks, lançaient des pierres sur les voitures évacuant des grands-mères amérindiennes de Kahnawake.

Il y a aussi les Chamberlain de notre époque, tel Jimmy Carter qui, n'ayant rien appris de la prise en otages des membres de l'ambassade américaine par Téhéran pendant sa présidence, affirme aujourd'hui croire en la parole du Hamas qui lui a promis de tenir un référendum à Gaza et en Cisjordanie, ce Hamas même qui massacra ses opposants du Fatah un an après avoir pris le pouvoir démocratiquement.

Collaborer à sa propre oppression

Jacques Brassard citait récemment Lénine, expert en manipulation s'il en est, qui se riait de ces idéalistes gauchisants, de ces «idiots utiles» qui ouvraient la voie aux bolcheviques. Ne savent-ils donc pas tous, ces Jimmy Carter obstinément crédules, ces altermondialistes et ces intellectuels juifs qui font carrière, avec pension à la clé, dans les universités et les médias d'un Occident qui leur laisse la liberté de le vitupérer sans représailles physiques; ne sont-ils donc pas conscients, ces pacifistes à l'abri de tout danger qui font payer par d'autres le prix de leur bonne conscience, ou ces militants gais qui dénoncent Israël à San Francisco aux côtés de partisans du Hamas pour qui Dieu les regarde «avec dédain»; ne se rendent-elles donc pas compte, ces féministes émues (avec raison) à la vue d'enfants palestiniens blessés, mais insensibles au fait que certains ont été recrutés comme soldats ou promis en bas âge à l'attentat suicide; sont-ils donc aveugles, ces défenseurs des droits et des libertés individuels si chèrement acquis depuis quatre siècles en Occident; ignorent-ils donc tous, ces militants et ces penseurs, qu'ils collaborent à leur propre oppression et qu'ils seront les premiers à être égorgés par des obscurantistes barbares dont ils épousent, avec un vague sentiment de culpabilité, la complainte misérabiliste qui leur fait préférer à l'effort de l'excellence un fanatisme menant au culte de la mort?

N'ont-ils pas vu le témoignage de ce père qui fêtait, comme s'il s'agissait d'une noce, la mort de son fils dans un attentat suicide, ou celui de cette mère qui, après avoir embrassé son adolescent en route vers l'explosion qui le déchiquettera, se disait prête à sacrifier ses autres garçons si besoin était?

Ne saisissant pas que, pour les juifs, vivre, surtout depuis l'Holocauste, constitue une forme de résistance, les islamistes y voient un signe de faiblesse. Choisissant la voie facile de chercher la cause des maux de leur société dans des «complots» de tous ordres, ils taxent les juifs de parasitisme et, oubliant que ce 0,0024 % de la population mondiale gagne 18 % des prix Nobel (27 % aux États-Unis pour 2 % de la population du pays), ils les accusent de «ne rien produire».

Qu'on comprenne bien: il ne s'agit en aucune façon d'attribuer à l'ensemble des musulmans les convictions médiévales et les comportements violents des islamistes, dont ils sont les premiers à souffrir. Il n'est pas question non plus d'épargner à Israël les critiques qu'il mérite.

Mais il faut mettre fin à l'indignation sélective d'un altermondialisme qui trahit sa mission en s'acharnant sur ce pays démocratique, au détriment des innombrables victimes de régimes tyranniques qui soustraient systématiquement leur sort abominable à l'oeil des caméras. Et il s'impose de mettre un terme, non pas à la critique de l'Occident, mais à une haine suicidaire et porteuse de décadence qui, ne pouvant tolérer la vue d'imperfections, certes multiples et immenses, nous incite à nous faire les complices d'une idéologie mortifère dont le discours, apparemment favorable aux «damnés de la terre», peut séduire par son origine plus lointaine.

Ne répétons pas l'erreur des générations récentes qui ont succombé aux sirènes de l'URSS stalinienne, du Cuba castriste (répressif, bien que moins meurtrier) ou de la Chine maoïste, avant que n'ait pu se manifester au grand jour l'horreur des dizaines de millions de morts que les beaux appels à l'égalité avaient dissimulée.


Lise Noël, Historienne et auteure de L'Intolérance. Une problématique générale, aux Éditions Boréal/Le Seuil.
http://www.ledevoir.com/2009/02/21/235159.html

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