Juifs et chrétiens sous la domination islamique, vus par Chateaubriand en 1811


Pierre André Taguieff nous adresse ce texte de Chateaubriand accompagné de la remarque suivante : « Un extrait de "L'Itinéraire de Paris à Jérusalem", de Chateaubriand, circulait ces jours-ci sur le Web.
Il s'agit, en fait, d'une description sans complaisance, et hautement éclairante, de l'état des chrétiens et des Juifs sous la domination islamo-turque. L'ennui, c'est d'abord que le dit extrait comporte un certain nombre d'incorrections, ensuite qu'il est amputé du passage concernant les chrétiens. » Et l’écrivain de nous proposer de le mettre en ligne dans la version reprise de l’édition de cet ouvrage (1811), qu’il a eu l’obligeance de copier et qui figure ci-après. Qu’il en soit chaudement remercié. J’ajouterai seulement qu’avant de classer le célèbre écrivain français parmi les "philosémites", il convient de lire l’Appendice que je me suis permis d’ajouter. (Menahem Macina).

« Au milieu de cette désolation extraordinaire, il faut s’arrêter un moment pour contempler des choses plus extraordinaires encore. Parmi les ruines de Jérusalem, deux espèces de peuples indépendants trouvent dans leur foi de quoi surmonter tant d’horreurs et de misères. Là vivent des religieux chrétiens que rien ne peut forcer à abandonner le tombeau de Jésus-Christ, ni spoliations, ni mauvais traitements, ni menaces de la mort. Leurs cantiques retentissent nuit et jour autour du Saint-Sépulcre. Dépouillés le matin par un gouverneur turc, le soir les retrouve au pied du calvaire, priant au lieu où Jésus-Christ souffrit pour le salut des hommes. Leur front est serein, leur bouche riante. Ils reçoivent l’étranger avec joie. Sans forces et sans soldats, ils protègent des villages entiers contre l’iniquité. Pressés par le bâton et par le sabre, les femmes, les enfants, les troupeaux se réfugient dans les cloîtres de ces solitaires. Qui empêche le méchant armé de poursuivre sa proie, et de renverser d’aussi faibles remparts ? La charité des moines : ils se privent des dernières ressources de la vie pour racheter leurs suppliants. (…)


Tandis que la nouvelle Jérusalem sort ainsi du désert, brillante de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le Temple ; voyez cet autre petit peuple qui vit séparé du reste des habitants de la cité. Objet particulier de tous les mépris, il baisse la tête sans se plaindre ; il souffre toutes les avanies sans demander justice ; il se laisse accabler de coups sans soupirer; on lui demande sa tête : il la présente au cimeterre.

Si quelque membre de cette société proscrite vient à mourir, son compagnon ira, pendant la nuit, l’enterrer furtivement dans la vallée de Josaphat, à l'ombre du Temple de Salomon. Pénétrez dans la demeure de ce peuple, vous le trouverez dans une affreuse misère, faisant lire un livre mystérieux à des enfants qui, à leur tour, le feront lire à leurs enfants. Ce qu’il faisait il y a cinq mille ans, ce peuple le fait encore. Il a assisté dix-sept fois à la ruine de Jérusalem, et rien ne peut le décourager ; rien ne peut l’empêcher de tourner ses regards vers Sion. Quand on voit les Juifs dispersés sur la terre, selon la parole de Dieu, on est surpris sans doute ; mais, pour être frappé d’un étonnement surnaturel, il faut les retrouver à Jérusalem, il faut voir ces légitimes maîtres de la Judée, esclaves et étrangers dans leur propre pays ; il faut les voir attendant, sous toutes les oppressions, un roi qui doit les délivrer. (…) Les Perses, les Grecs, les Romains ont disparu de la terre : et un petit peuple, dont l’origine précéda celle de ces grands peuples, existe encore sans mélange dans les décombres de sa patrie. Si quelque chose, parmi les nations, porte le caractère du miracle, nous pensons que ce caractère est ici. »



(François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, Paris, Le Normant, 1811, t. III, pp. 45-48.)

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Appendice

Avertissement : Que si quelqu’un s’imagine que Chateaubriand fait ici l’apologie de ce peuple parce qu’il éprouve à son égard une certaine affection, ou à tout le moins une discrète admiration, il commet un contresens, comme le démontrent les deux extraits suivants de l’une de ses œuvres majeures. (M. Macina).

« Heureux Juifs, marchands de crucifix, qui gouvernez aujourd'hui la Chrétienté… Ah ! si vous vouliez changer de peau avec moi, si au moins je pouvais me glisser dans vos coffres-forts, vous voler ce que vous avez dérobé aux fils de famille, je serais le plus heureux des hommes. »

(Mémoires d'Outre-tombe).

« Depuis que les rois sont devenus les chambellans de Salomon, baron de Rothschild, les Juifs ont, à Venise, des tombes de marbre. Ils ne sont pas si richement enterrés à Jérusalem. »

(Venise, 17 septembre 1833, Mémoires d'Outre-Tombe, Appendice).

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Mis en ligne le 28 mars 2009, par M. Macina, sur le site upjf.org

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