« Avant Israël, qu’y avait-il ? »

Par Cyrano
pour Guysen International News

« Avant Israël, qu’y avait-il ? » Ainsi formulée, cette vaste et importante question de mon petit-fils pourrait être comprise de différentes façons :
- qu’y avait-il avant la création de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire avant 1948* ?
- qu’y avait-il avant l’arrivée des premiers immigrants juifs, c’est-à-dire avant 1882 ?
C‘est cette dernière interprétation, parmi d’autres, que je retiens ici en la précisant : dans quel état les délégués de l’Alliance Israélite Universelle et les immigrants venus de Russie, la Russie tsariste des pogroms, ont-ils découvert la « Terre promise » ?


Entre 1800 et 1882, période précédant la métamorphose du pays, trois questions méritent être abordées.

1 - Qui gouvernait la Palestine ?

2 - Comment se présentait le pays ?

3 - Qui en étaient les habitants ?
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I - Une dépendance de l’Empire ottoman

an style="font-weight: normal">La Palestine était une dépendance de l’Empire ottoman depuis 1516. Elle le demeurera jusqu’en 1917, année de la prise de Beersheba et de Jérusalem par les forces britanniques du général Allenby. La conquête de l’ensemble de la Palestine ne sera achevée qu’en septembre 1918.
Dans cette province administrée par les Autorités turques régnait, selon l’historien Michel Gurfinkiel, « l’arbitraire, l’insécurité, l’anémie économique ».
Razzias, vol de bétail, de chevaux, tels étaient les fléaux dont pâtiront les nouveaux immigrants, dans un pays où la police, corrompue, était inefficace. La faiblesse du pouvoir central était l’un des facteurs conduisant les responsables locaux à toutes sortes d’abus. (1)


II - Les témoignages des voyageurs au cours du XIXe siècle
Des écrivains, François René de Chateaubriand, Hermann Melville, James Finn, Mark Twain, Samuel Manning et Pierre Loti, ont visité la Palestine entre 1806 et 1895 et leurs observations concordent. Ils décrivent une région délabrée : « le sol, écrit Chateaubriand, n’offre de toutes parts que des chardons, des herbes sèches et flétries, entremêlées de chétives plantations…quelques bouquets d’oliviers et de sycomores… »
De ces témoignages on peut rapprocher les propos de Déborah Daria Sirot, jeune femme arrivée à Jaffa en 1882 avec 13 autres pionniers des « amants de Sion » : « L’ancienne plaine côtière des Philistins n’est plus qu’une étendue marécageuse, silencieuse et lugubre, infestée de moustiques porteurs de la malaria et abandonnée aux dunes des sables mouvants »

Une terre désolée faite de rocaille, de sable et de marécages, telle était devenue la Judée, après les guerres, les massacres, les épidémies qui y avaient sévi depuis la conquête romaine.

III - Une population chétive et non homogène
Quelques chiffres** : 200000 habitants au début du XIXe siècle, 300000 en 1880, une densité très faible : 7 au kilomètre carré au début du XIXe siècle, 10 en 1880, soit une progression médiocre, de 30/100 en 80 ans. (1)

La population majoritaire
Les habitants de la Palestine ottomane étaient en majorité des Arabes, musulmans sunnites ou chiites, des Bédouins nomades ou sédentaires, des Arabes chrétiens et en moins grand nombre des Druzes, des Kurdes, mais aussi des Iraniens de religion bahaï.
Ils étaient bergers, agriculteurs, producteurs de céréales ou propriétaires d’oliveraies, servis par des ouvriers agricoles, fellahs aux activités saisonnières misérablement payés. Nombre de ces propriétaires s ‘empresseront de vendre aux immigrants juifs les terres les moins fertiles, fort peu rentables.


La population juive
On sait que l’Empire ottoman avait accueilli en grand nombre, entre 1492 et 1497, les Juifs expulsés d’Espagne et du Portugal ; les principales destinations de ces exilés avaient été les grandes villes de Turquie et de Grèce, Istanbul, Salonique et les îles ioniennes .Quelques uns s’étaient rendus en Palestine après sa conquête par les Ottomans en 1516, mais, dans cette région inhospitalière, cette communauté était demeurée quantitativement très faible, cantonnée dans les villes, Safed, Tibériade, Hébron et Jérusalem. Cette présence juive était restée stagnante jusqu’à la fin du XIXe siècle, soit pendant plus de trois cents ans.
Il s’agissait essentiellement de Juifs religieux se consacrant à la prière et à l’étude. Leurs moyens de subsistance - des aumônes collectées en Europe - étaient précaires. L’Alliance Israélite Universelle tentera d’améliorer leur sort.

Une initiative del’Alliance Israélite Universelle
Nous sommes en 1870, un représentant de l’Alliance Israélite Universelle, Charles Netter, fait un triste constat : la majorité des habitants juifs vivent dans des conditions misérables ; seul un petit nombre exerce une profession, artisanat, petit commerce, et il dénombre un total de deux agriculteurs juifs sur toute la Palestine ! Avec l’aide du baron de Hirsch, il fait construire à Mikveh Israël une ferme-école destinée à former des agriculteurs juifs. Ce projet aboutit, mais il se heurte aux revendications de religieux ultra-orthodoxes qui veulent en faire une sorte de yeshiva ; les laïcs auront le dernier mot.
Cette initiative de l’Alliance Israélite Universelle, tout à fait étrangère à l’idéal sioniste, bien que très ponctuelle, aura un impact considérable : elle sera un exemple pour des projets similaires comportant l’achat de terres et leur mise en valeur par des mains juives. Ces mains juives seront celles des pionniers qui émigreront à partir de 1882 de Russie, de Roumanie et du Yemen, de plus en plus nombreux***, et malgré mille difficultés - les conditions climatiques, leur inexpérience des travaux des champs et la concurrence de la main-d’œuvre arabe – ces pionniers apporteront leur contribution à la fertilisation du pays. Leurs efforts, rendus possibles grâce aux subsides alloués par le baron Edmond de Rothschild, seront à l’origine des colonies agricoles de Rishon-Lezion, Petah Tikvah et Zicron Yacov.(2, 3, 4)


Des Européens aux motivations diverses :
- des ecclésiastiques chrétiens en particulier à Jérusalem, dont des missionnaires qui tentaient d’obtenir des conversions des plus démunis parmi les Juifs,
- mais aussi des colons protestants du courant « évangélique » venus d’Allemagne, fondateurs d’ une implantations prospère dans la région de Jaffa, avec ses orangeraies, « ses parterres de fleurs, ses ombrages et ses troupeaux de vaches importées ». (1)

Et les Philistins ?
Les historiens sont formels : « Peuplade de la mer » vivant dans la région de Gaza, en guerre permanente contre leurs voisins hébreux (on connaît la légende du combat de David contre le géant philistin Goliath et celle de Samson, guerrier hébreu invincible, trahi par Dalila sa bien-aimée), les Philistins ne sont pas les ancêtres des Palestiniens. On ne connaît rien de leur langue et ils ont disparu de la région, plusieurs siècles avant J.-C. sans laisser d’écrits ni vestiges archéologiques.(5)

La Palestine ottomane, une terre sans peuple ?
Lord Shaftesbury, ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, protestant du « courant évangélique » a écrit en 1853 à propos de la Palestine et de la Grande Syrie : « Ces territoires sont vides, cette terre dépourvue de nation a grand besoin d’une nation sans terre ». Conclusion sans doute excessive quant à l’absence de population, mais conclusion justifiée dans la mesure où cette population hétérogène n’était animée par aucun sentiment nationaliste : seule l’appartenance à l’Islam permettait de grouper les Arabes de Palestine sous l’étiquette d’une communauté religieuse, mais il s’agissait d’un Islam divisé en clans rivaux ; et ce ciment communautaire était encore bien fragile : comme l’écrit Henry Laurens à propos de ces Arabes citoyens ottomans : « Chez les mêmes individus, selon les moments et les conjonctures, on pouvait se poser plus en tant que Musulman, ou Arabe, ou Syrien. (2)
Ainsi, selon cet historien, professeur au Collège de France et dont les livres font autorité, ces autochtones ne se désignaient pas comme Palestiniens.

L’auteur remercie Tsilla Hershco, historienne, chercheuse associée au Centre Begin-Sadate d’Etudes Stratégiques à l’Université Bar Ilan (Ramat-Gan, Israël), d’avoir supervisé ce texte.

Références
1-Michel Gurfinkiel Le roman d’Israël Ed. du Rocher 2008
2-Henry Laurens La question de Palestine Tome I Ed. Fayard 2003 (page 201)
3-Abba Eban Mon peuple Ed. Buchet/Chastel 1970
4-Jacques Derogy et Hesi Carmel Le siècle d’Israël Ed. Fayard 1994
5-Elie BarnaviHistoire Universelle des Juifs Ed. Hachette 1992


Notes
*Ce sujet a été abordé dans le livre II « 50 ans de lutte pour la renaissance de l’Etat juif » de mon livre « Résurrection d’un Etat ou l’épopée d’Israël racontée aux 13-20 ans » (Editions Amalthée 2008).Le chapitre« Avant Israël, qu’y avait-il ? » devrait figurer dans une possible réédition, revue et augmentée, de cet essai.

**Ces chiffres sont ceux donnés par Michel Gurfinkiel (1). Ils concernent le territoire compris entre le Jourdain et la Méditerranée. Henry Laurens avance des chiffres sensiblement supérieurs (plus de 460000) mais ils portent sur la Palestine ottomane qui inclut la Transjordanie. (2)

***Entre 25000 et 35000 suivant les estimations. D’autres précisions sur cette première alya seront apportées dans un prochain article « La Palestine ottomane entre 1882 et 1917 ».



Illustrations
Fig 1 Drapeau de l’Empire ottoman
Fig 2 Un chameau dans le désert de Judée
Fig 3 Désert de Judée
Fig 4 Soldats ottomans, dessin d’époque (1843)

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