L’Iran est un pays qui meurt



par Spengler pour Asia Times
Titre original : Sex, drugs and Islam
Traduction : Objectif-info


L'Islam politique est arrivé sur la scène mondiale avec la révolution de 1979 de Ruhollah Khomeini en Iran, qui devint le chef le plus agressif des musulmans radicaux résidant en dehors de ses frontières. On compte parmi ces derniers le Hamas dans les territoires palestiniens et le Hezbollah au Liban.

Jusque très récemment, les prix élevés du pétrole ont donné à l'état iranien des ressources suffisantes pour poursuivre ses projets en Iran et à l’étranger. Comment faut-il donc expliquer l’éruption de pathologies sociales en Iran comme la drogue et la prostitution, sur une échelle bien plus désastreuse que tout ce que l’on a pu observer en Occident ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il apparaît que la théocratie islamique encourage la décomposition de la société bien plus qu’elle ne la prévient

L'Iran est en train de mourir. L'effondrement du taux de natalité de ce pays ces 20 dernières années est le plus rapide jamais enregistré où que ce soit. Les démographes ont cherché en vain à expliquer l’implosion de la population de l’Iran par les politiques de planification familiale, ou par des facteurs sociaux comme l'élévation du niveau d’instruction des femmes.

Mais les facteurs quantitatifs n'expliquent pas l'effondrement soudain de la fécondité. Il semble qu’un effondrement spirituel ait submergé l'Iran, en dépit des efforts obstinés d'une théocratie totalitaire. Le moral de la population s’y est détérioré beaucoup plus rapidement que dans l’Occident "décadent" contre qui la révolution de Khomeiny était dirigée.

J’écrivais en 2007 : "L’Iran est en train de mourir au nom d’une cause," (voir svp Pourquoi l'Iran meurt au nom d’une cause, novembre 13, 2007.). Dans un sens littéral son déclin est tellement évident que certains de ses chefs pensent qu'ils n'ont désormais rien à perdre.

Leurs efforts pour protéger l'Iran de la contamination culturelle du "Grand Satan" américain ont engendré des pathologies sociales pires que celles que l’on peut trouver dans n’importe quel pays occidental. Avec un prix du pétrole fixé à peine au cinquième du maximum de 2008, l’Iran va manquer d’argent vers la fin de 2009 ou au début de 2010. Selon la théorie des jeux les dirigeants de l'Iran se reporteraient sur des visées stratégiques lointaines. Ce n'est pas une idée très apaisante pour les pays voisins.

Deux indicateurs du moral des Iraniens valent la peine d’être cités.

La prostitution d'abord, qui est devenue une profession prestigieuse pour les Iraniennes instruites. Le 3 février le quotidien autrichien Der Standard a publié les résultats de deux enquêtes conduites par la police de Téhéran, et censurées par les médias iraniens. [1]

"Selon les résultats de l'une des études, plus de 90% des prostituées de Téhéran ont passé l'examen d'entrée à l’université, et plus de 30% d'entre elles sont inscrites à une université ou font d’autres études," rapporte Der Standard . "L'étude a été confiée aux services de la police de Téhéran et au ministère de la santé. Quand les résultats ont été connus, au début janvier, pas un journal local n’a osé ne fut-ce que les mentionner."

Le quotidien autrichien a précisé que "quatre-vingts pour cent des professionnelles du sexe de Téhéran ont prétendu qu'elles exercent cette activité volontairement et pour un temps seulement. Les plus instruites d’entre elles sont dans l’attente d’un travail préférable. Celles qui peuvent entrer à l’université projettent d’entreprendre des études ultérieurement, et celles qui sont déjà inscrites à l'université expliquent leur recours à la prostitution par le niveau élevé des frais de la scolarité… elles sont satisfaites de leur activité et ne la considèrent pas comme un péché du point de vue de la loi islamique."

Il existe aussi un vaste commerce de femmes iraniennes pauvres qui font l’objet d’un trafic massif en direction des état du Golfe, mais aussi de l'Europe et du Japon. J’écrivais en 2006 dans une étude sur la prostitution en Iran :"une nation n'est jamais tout à fait à terre, sauf si elle commence à vendre ses femmes." Le Jihad et les putains.

La prostitution comme réponse à la pauvreté et aux mauvais traitements est une chose, mais les résultats de cette nouvelle étude reflètent un phénomène tout à fait différent. Les femmes instruites de Téhéran choisissent la prostitution comme le moyen d’une mobilité sociale ascendante, comme une façon de prendre leur part de la rente pétrolière qui a fait de Téhéran le marché immobilier le plus actif du monde dans les années 2006 et 2007.

Un pays a perdu la partie quand il vend ses femmes, mais il reçoit une malédiction quand ses femmes se vendent elles-mêmes. Dans l’imagerie populaire du commerce du sexe iranien, on fait le portrait d’adolescents éplorés, maltraités et jetés à la rue par des parents pauvres. Des jeunes victimes de ce genre sont sans doute nombreuses, mais la majorité des prostituées de Téhéran sont des femmes instruites qui recherchent la prospérité matérielle.

C’est seulement dans l'ancienne Union soviétique, après l'effondrement du communisme en 1990, que les femmes instruites choisissaient de se prostituer à une échelle comparable, mais dans un contexte très différent. Les Russes étaient affamés au début des années 90, une époque où l'économie soviétique se dissolvait et où la monnaie s'effondrait. Les Iraniens d'aujourd'hui souffrent de pénuries, mais beaucoup d’éléments suggèrent que ce n’est pas tant la pauvreté qui pousse les prostituées de Téhéran vers le commerce du sexe que l’occasion qu’il offre de devenir riche.

L’an dernier, j'ai observé que les prix des appartements de luxe de Téhéran étaient supérieurs à ceux de Paris, car les bandits qui sont au pouvoir en Iran ont distribué la rente pétrolière à des dizaines de milliers de parasites de la révolution. Les journaux de l’opposition prétendaient à cette époque que 35 milliards de dollars s’étaient évanouis dans les comptes des fonds d’état alimentés par le pétrole. C’est à l’évidence la corruption qui a transformé en putains les femmes instruites de Téhéran. (voir svp L’époque la pire pour l'Iran, 24 juin 2008.)

En second lieu, la drogue. Selon un rapport récent du Conseil des affaires étrangères américain, "l’Iran est la plaque tournante de trafics d’opiacés en provenance [d'Afghanistan], et le Bureau de l'ONU de lutte contre la Drogue et le Crime estime qu’il n’y a pas moins de 1,7 millions d’Iraniens dépendants des opiacés." Cela représente 5% de la population adulte de ce pays, 35 millions de personnes si on ne compte pas les personnes âgées, qui sont sous l’emprise des opiacés. Ce nombre est stupéfiant, jamais vu depuis les sommets atteints par les Chinois au 19ème siècle. L’étude américaine la plus comparable (l’Enquête nationale de 2003 sur la consommation de drogue et la santé) indique que 119.000 Américains ont reconnu avoir pris de la drogue le mois précédent, soit moins de 0,1% de la population adulte compte non tenu des personnes âgées.

En Chine, au 19ème siècle, on a connu des taux comparables de dépendance à l’opium, après que les britanniques aient remporté deux guerres [les fameuses guerres de l’opium ndt] pour avoir le droit mettre de la drogue dans la gorge de la Chine. La Russie post-communiste a connu des taux de prostitution comparables à une époque où les gens étaient réellement affamés. Les taux saisissants de l'Iran en matière de prostitution et de dépendance à la drogue reflètent la démoralisation du peuple, l'implosion d'une culture très ancienne dans sa rencontre avec le monde moderne. Ces pathologies ne découlent pas de la pauvreté mais de la richesse, ou plutôt d'une concentration soudaine de la richesse dans les mains de la classe politique. Dans l'histoire moderne, aucun autre pays n'a connu ce genre de démoralisation.

Pour la majorité des jeunes iraniens, il n'y a pas moyen de s’élever, on ne peut que s’enfoncer ; selon Der Standard 36% des jeunes iraniens entre 15 et 29 ans veulent émigrer, selon une autre étude iranienne non publiée, provenant cette fois du ministère de l'éducation de ce pays. Seuls 32% d’entre eux considèrent que les normes sociales existantes sont acceptables, tandis que 63% se plaignent du chômage, de l'organisation sociale ou du manque d'argent.

Comme je l'ai indiqué dans l'essai cité plus haut, l’énorme magot confisqué par la classe politique a pour contrepartie d’importantes privations pour l’Iranien ordinaire. Cet hiver, les pénuries généralisées de gaz naturel ont privé de chauffage des dizaines de milliers de ménages.

Le moral en berne de la population iranienne aide à comprendre son déclin démographique galopant. Les universitaires experts en démographie ont essayé d'expliquer l’effondrement de la fécondité par les progrès de l’instruction des femmes. Le problème, c’est que le régime iranien a diffusé des données mensongères en matière d’instruction, et il l’a admis tout à fait récemment.

Dans un article récent intitulé "L’éducation et le record mondial de chute de la fertilité en Iran" [2], des démographes américains et iraniens observent :

Une première analyse des résultats du recensement de 2006 en Iran montre un niveau de fécondité exceptionnellement bas de 1.9 pour le pays et de seulement 1.5 pour la région de Téhéran (qui représente environ 8 millions de personnes)… Un déclin du TFR [total fertility rate ou taux global de fécondité ndt] de plus de 5 points en approximativement deux décennies constitue le record du monde en la matière. Le phénomène est encore plus étonnant pour beaucoup d'observateurs quand ils constatent que cela se produit dans l’une des sociétés les plus islamisées du monde. Les experts sont ainsi contraints de revoir de nombreux stéréotypes sur les différentiels de fécondité introduits par la religion.

L’article souligne que le recensement indique une poursuite de la chute de la fécondité malgré les niveaux extrêmement bas atteints aujourd’hui.

L'effondrement de la fécondité rurale au même rythme que celui de la fécondité urbaine est le phénomène le plus remarquable.

La similitude de la transition dans les secteurs urbains et ruraux est l’une des caractéristiques principales de la transition de la fécondité en Iran. Il y avait un écart considérable entre la fécondité en milieu rural et en milieu urbain, mais avec la réduction continue du TFR dans les secteurs ruraux et urbains au milieu des années 90, l’écart entre les deux a sensiblement diminué. En 1980, le TFR des secteurs ruraux était 8.4 tandis que dans les secteurs urbains il était de 5.6. En d'autres termes, il y avait un écart de 2.8 enfants entre les deux secteurs. En 2006, le TFR rural et urbain s’élevait respectivement à 2.1 et 1.8, soit une différence de 0.3 enfant par femme seulement.

Ce que les professeurs voulaient démontrer, c’est que la convergence des taux de fécondité urbains et ruraux correspondait à un rattrapage du niveau d’instruction de la ville par celui de la campagne. C'est là une hypothèse parfaitement raisonnable mais son défaut, c’est que les données sur lesquelles elle est fondée avaient été truquées par le régime iranien.

Les données officielles du gouvernement iranien affirmaient que le taux d’alphabétisation des femmes était de 90 pour cent dans les villes et de 80 pour cent dans les campagnes. Cela ne pouvait pas être vrai puisque l’Organisation pour le développement de l’alphabétisation admettait l’an dernier (selon une dépêche de l’Agence France Presse du 8 mai 2008) que 9.450.000 iraniens étaient analphabètes sur une population de 71 millions (dont 52 millions d’adultes). Ces chiffres suggèrent que les taux d’analphabétisme sont supérieurs aux données officielles.

Il y a une explication plus pertinente de l’implosion de la population de l'Iran. Ce pays a subi une crise existentielle comparable à la rencontre des tribus d'Amazonie ou des Inuit avec la modernité. La société traditionnelle exige la soumission au collectif. Mais dès que les contraintes externes sont levées, les membres de ces sociétés peuvent passer des formes les plus extrêmes du conformisme à des comportements extrêmes de licence sexuelle. La révolution de Khomeiny a essayé de retarder la désintégration de la société persane, mais elle semble avoir accéléré le processus.

La modernité implique des choix, et les efforts des mollahs iraniens pour pérenniser les contraintes de la société traditionnelle semblent avoir eu l’effet inverse. La cause de l’effondrement de la fécondité de l'Iran n'est pas l’alphabétisation en tant que telle, mais un pessimisme extrême quant à l’avenir et un matérialisme endémique qui conduit les femmes iraniennes instruites à faire de leur sexualité une marchandise.

Le théocratie soumet la religion à un test politique ; il est difficile pour les Iraniens de contester le régime et ils restent pieux, parce que la piété et le soutien religieux à l'Islam politique sont inséparables, comme une récente étude universitaire l’a mis en évidence à partir de données empiriques [3].

Comme lors de la décrépitude du communisme, la décomposition d’une idéologie d’état a beaucoup de chances de répandre le nihilisme. L'Iran est un pays qui meurt, et il est très difficile d'entretenir un dialogue raisonnable avec une nation où tous les choix possibles sont rapportés au passé.


[1] Der Standard, Die Wahrheit hinter der islamischen Fassade http://derstandard.at/?url=/?id=1233586592607
[2] L’éducation et le record mondial de chute de la fertilité en Iran http://epc2008.princeton.edu/download.aspx?submissionId=80880
[3] http://www.luc.edu/faculty/gtezcur/files/TezcurJSSR.pdf Religiosité et pouvoir islamique en Iran, par Gunes Murat Tezcur et Tagh Azadarmaki.

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