La lente disparition du Judaïsme français est-elle bien due aux mariages mixtes ?

Benjamin Lachkar | Cape

La question démographique est une des clés du conflit israélo-palestinien. La menace d’une majorité arabe dans les territoires sous contrôle israélien fut l’élément déterminant pour décider Ariel Sharon d’évacuer Gaza. Et face à la forte natalité arabe – bien qu’en baisse très sensible depuis quelques années -, Israël a toujours considéré l’Alyah comme réponse ultime à cette menace. Cependant, déjà plus de 40% des Juifs du monde vivent en Israël, et alors que la communauté juive d’Israël y jouit d’une solide vitalité démographique, la diaspora va en diminuant suite à une faible natalité et à l’assimilation.


La lutte contre « l’assimilation » est depuis longtemps la priorité de la plupart des communautés juives de diaspora et la communauté juive de France n’échappe pas à la règle. Lorsqu’on essaie de définir ce qu’est cette assimilation, le concept le plus souvent évoqué est celui du mariage mixte entre un conjoint juif et un conjoint non-juif. Ainsi, d’après une grande étude officielle menée en 2000, aux USA la moitié des Juifs américains vivraient avec un conjoint non-juif et le nombre de Juifs dans le pays diminue inexorablement de décennies en décennies malgré l’immigration positive de Juifs venus d’autres pays.

Une étude parallèle conduite en 2002 par le sociologue Erik Cohen sur la communauté juive de France semble donner des résultats moins dramatiques mais similaires. Alors que selon les études officielles conduites pour le FSJU, on comptait 535,000 Juifs en France en 1980, ils n’étaient plus que 520,000 en 1988, 500,000 en 2002, et même juste 485,000 en 2007 d’après l’Agence Juive.

Évidemment, ces chiffres ne sont pas exacts à la virgule près mais même si on estime que le nombre réel de Juifs en France est un peu plus élevé, la tendance est indéniablement la même : ce nombre baisse. Des lors, il semble logique d’en imputer la cause aux mariages mixtes et à l’assimilation.

D’après l’étude d’Erik Cohen, 31% des Juifs de France qui vivent en couple vivent avec un conjoint non-juif, et 37% parmi les moins de 30 ans. Parmi les veufs, seuls 13% avaient un conjoint non-juif avant que ce dernier ne décède. Cela indique une progression des couples mixtes au sein des générations plus jeunes. Mais une analyse plus fine des chiffres nous apporte d’autres découvertes Il faut souligner ici que nous parlons de couples et pas de couples mariés. Ainsi, parmi les Juifs interrogés pour cette enquête, 59% sont mariés et 9% vivent en concubinage. Parmi les Juifs mariés, seuls 24% ont un conjoint non-juif tandis que ce chiffre atteint 87% parmi les Juifs vivant en concubinage.

Cette donnée est particulièrement intéressante Erik Cohen y voit le signe d’une stratégie de contournement du mariage mixte par le concubinage. En vivant maritalement, ces couples évitent tous les problèmes familiaux et sociaux liés à l’institutionnalisation de leur relation en passant devant le Maire. Une autre lecture est possible néanmoins. Le fait frappant, c’est qu’il n’existe presque pas de couples Juifs endogames vivant maritalement. Ils sont tous mariés ou presque. Or, ce comportement contraste violemment avec les pratiques générales de la société française dans laquelle la majorité des couples ne sont pas mariés, et plus de la moitié des enfants sont « illégitimes ».

Les comportements nuptiaux sont un des signes majeurs de l’intégration d’une minorité au sein d’une population donnée. Le fait que les Juifs continuent de respecter massivement l’institution du mariage à l’opposé de l’immense majorité de leurs concitoyens est un élément qui semble indiquer que les Juifs de France sont bien moins assimilés qu’on ne semble le penser.

En conséquence, le fait que 87% des Juifs qui vivent en concubinage ont un conjoint non-juif peut être réinterprété de façon légèrement différente : dans la mesure ou la prégnance de la valeur mariage est si fondamentale parmi les Juifs de France, le fait de choisir de vivre en concubinage avec un conjoint non-juif peut aussi être le signe, dans certains cas, que cette union n’est pas faite pour durer et que le moment voulu un conjoint juif sera choisi. Cela explique aussi pourquoi le taux de mixité est plus élevé parmi les moins de 30 ans : ce n’est pas seulement un signe de progression des couples mixtes parmi la jeunesse mais aussi une indication du fait que les plus jeunes ne sont pas encore installés définitivement dans leur vie de couple.

Quoiqu’il en soit, il reste à répondre à la question de départ : ces couples mixtes expliquent-ils la baisse du nombre de Juifs en France. Nous ne connaissons pas le taux de natalité des Juifs de France mais quelques éléments permettent de se faire une idée. D’après Erik Cohen, 44% des couples endogames juifs ont 3 enfants ou plus, largement au dessus de la moyenne française, et la natalité des couples endogames est nettement supérieure à celle des couples mixtes. En admettant un taux de natalité identique à celui de la moyenne française, soit 13 pour mille et une répartition équivalente malgré tout entre couples juifs et mixtes, nous obtiendrions environ 4500 naissances annuelles dans les 69% de familles endogames. Dans le même temps, en admettant un taux de mortalité globalement identique à celui de l’ensemble des Français, la communauté juive devrait perdre de l’ordre de 4000 membres par an. La communauté juive connait donc une croissance démographique positive.

Cependant, il est probable que le nombre d’enfants juifs dans les couples endogames soit plus élevé que cela ; et tout ceci sans prendre en compte les enfants issus des mariages mixtes. Or, ceux dont la mère est juive sont, aux yeux de tous, parfaitement Juifs. Même si seule une minorité d’entre eux s’identifient comme Juifs, voilà autant de gens qui se rajoutent à la communauté juive. De plus, même s’ils ne sont pas considérés comme Juifs par la Halakha (loi juive), les enfants de père juif et de mère non-juive ne peuvent être écartés d’un revers de main de la communauté juive. D’autant plus que la loi du Retour s’applique à toute personne ayant au moins un grand-père juif même si elle n’est pas juive selon la Halakha. Il ne faut pas oublier non plus l’effet paradoxal des mariages mixtes qui réduisent le nombre potentiel de Juifs mais augmente de façon démesurée le nombre de gens d’origine juive. Cela s’explique simplement : si deux Juifs se marient ensemble, il ne se crée qu’une famille ; mais si deux Juifs se marient chacun hors de la communauté, deux familles sont créées, avec les enfants qui viennent avec.

Ainsi, même avec les mariages mixtes, la démographie de la communauté juive de France reste largement positive. Il ne reste donc qu’une seule explication qui permette de comprendre la baisse du nombre de Juifs en France sur le long terme : l’émigration.

Israël compte, d’après une étude publiée par le consulat de France à Tel Aviv, prés de 130,000 citoyens français, dont plus de la moitie sont nés en Israël. De même, des communautés de plusieurs milliers de Juifs de France se sont disséminées à travers le monde, en particulier à Londres, Miami ou New York. Si nous connaissons les chiffres de l’Alyah vers Israël, nous ne savons pas combien partent chaque année en Israël sans devenir Israélien et encore moins combien partent dans d’autres pays.

Il apparaît que le monde juif se redéploie sur deux centres de taille pour l’instant équivalente : Israël et les États-Unis. Au vu de la lente érosion du Judaïsme américain, il est essentiel de tout faire pour attirer les émigrants juifs vers Israël Le pays ne peut pas passer à coté de l’opportunité d’attirer à lui la communauté juive de France alors qu’elle semble engagée dans un lent processus de fuite vers d’autres horizons. Cela nécessite de mettre en place une véritable politique spécifique adaptée à l’Alyah française et à son intégration en Israël

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