La France après la campagne médiatique sur Gaza


par Jean-Pierre Bensimon
pour Haboné



La France a entamé la nouvelle année par l'irruption dans ses grands média de l'une des plus terribles tempêtes anti israéliennes que le pays ait jamais connu. Aux heures de plus grande écoute, tous les jours, nos chaînes nationales ont diffusé telles quelles des images d'ambulances et d'enfants blessés, filmées par les soins du Hamas ou sous son contrôle et relayées par Al-Jazira. Que l'on ne dise pas que l'on manquait d'images d'autres provenances sur Gaza, le Hamas ou les régions bombardées d'Israël, il n'en n'est rien. Toujours loin de leur contexte, ces séquences accusatrices et les commentaires et interviews du même tonneau déversés à foison, confirmaient providentiellement les positions de l'Elysée dénonçant la "disproportion" de l'action israélienne, ou "l'escalade militaire dangereuse " que constituait l'opération terrestre. Il en est résulté un déluge de dénonciations odieuses que Shmuel Trigano a bien illustrées par la notion de "pogrom médiatique", une destruction virtuelle, qui touche non à la chair mais aux symboles et aux représentations qui permettent de vivre normalement en société.

Pourtant, on a rarement vu une guerre aux motifs aussi incontestables. Non seulement le Hamas venait de refuser le renouvellement d'une trêve, mais il avait entamé un pilonnage ahurissant des zones civiles du sud d'Israël. Tous les juristes en conviennent, ces pratiques sont constitutives d'un crime contre l'humanité, rien moins. En état de légitime défense, les autorités d'Israël devaient tenir compte de l'évolution rapide des technologies balistiques du Hamas qui avaient multiplié par cinq la portée de ses missiles en quelques mois. Les cibles suivantes seraient les installations nucléaires de Dimona, la base aérienne stratégique de Hatzor et l'aéroport international Ben Gourion, avant Tel Aviv et Jérusalem. Ces autorités israéliennnes n'ignoraient pas non plus qu'en laissant faire le Hamas, l'État manquait à sa principale raison d'être, la protection de ses citoyens. Et un État qui ne protège pas ses citoyens perd toute légitimité et risque de se disloquer, car une nation est avant tout une âme, un principe spirituel, comme le disait Renan. Toutes les voies pacifiques étant épuisées depuis longtemps, aucune guerre n'a jamais été aussi indispensable et aussi légitime que celle engagée contre le Hamas à Gaza.

La campagne médiatique française fut une immense dénonciation de l'auto défense d'Israël, à coup non d'arguments mais d'incitations haineuses. Elle aura des répercussions profondes et durables sur le vivre-ensemble dans notre pays. La fureur des communautés immigrées a été exacerbée, les passages à l'acte antisémite ont été innombrables, les Juifs – du moins une fraction considérable d'entre eux - se sont sentis injustement montrés du doigt et exclus, la méfiance et les sous-entendus se sont installés au travail et dans les lieux de vie collective, … Les images d'enfants morts, imputés à Israël et non au Hamas qui s'est servi des civils comme boucliers humains, ont donné aux extrémistes de l'Hexagone un champ d'action inespéré au sein des minorités "visibles": ils se sont affichés comme leurs représentants authentiques, faisant reculer d'autant leur intégration à la nation. Les forums et les blogs témoignent sur l'Internet de cette régression.

Comment expliquer que le courant principal des média, TV, radio, presse essentiellement, où exercent en principe des professionnels obéissant à certains principes, ait véhiculé des messages aussi brutalement partisans ? Comment ces média se sont-ils à ce point affranchis des valeurs de nos sociétés fondées sur la démocratie et les libertés pour entretenir un silence complaisant sur les exactions de l'un des pires groupes terroristes de la planète ? Et cela en imputant à une démocratie, Israël, l'état déplorable de la population de Gaza que le Hamas tient en otage ? Comment ont-ils pu ne pas discerner le risque qu'ils faisaient courir à la France et à sa cohésion sociale et politique en ouvrant les vannes aux torrents de haine recuite du Proche-orient ?

La réponse à ces questions est vraiment de première importance, mais pour aller au fond des choses il faudrait une longue étude. Un certain nombre d'exemples et de rappels nous permettront quand même de lever un coin du voile.

Il faut d'abord se mettre d'accord sur un point : la diffusion des messages de haine ne doit rien à la subjectivité, aux préjugés ou au parti pris de tel ou tel journaliste, comme on le dit souvent. Ce qui arrive aux oreilles et aux yeux du public résulte d'une intention bien arrêtée. En effet quand Frédéric Barrère de France Info fait un reportage insensé ou quand Stéphane Paoli de France Inter va chercher Robert Ménard au Qatar pour l'interviewer, ils savent exactement quel ragoût ils vont servir au pays, et ils savent ce que leurs chefs attendent d'eux. D'ailleurs, les responsables éditoriaux, un filtre décisif, auront ensuite autorisé la diffusion de cette haine antiisraélienne. Et une fois le message d'incitation diffusé, le CSA, gardien de l'éthique de l'information, habilité à intervenir sans délais, n'aura rien vu ni rien entendu. Dans la mesure où, en fin de course, cette incitation à la haine massive et durable a saturé les canaux d'information, c'est parce que toute la chaîne de production et de distribution de l'information l'a avalisée. Le résultat ne doit rien au hasard.

Cependant, du petit soldat qui confectionne son émission ou son article selon les vœux de ses supérieurs, aux responsables éditoriaux qui donnent le fau vert et au CSA qui se tait, les gestionnaires de l'information ne sont que des agents d'exécution des lignes éditoriales des grands média.

L'information entretient, en particulier dans notre pays, des liens incestueux avec le pouvoir économique. On sait que Pinault, Dassault, Bouygues, Lagardère, etc. sont propriétaires des principaux groupes de média hors service public. Dans son dernier ouvrage "Reviens Voltaire, ils sont devenus fous" Philippe Val raconte ce qui arriva à Denis Jeambar, alors directeur de l'Express, quand il voulut publier les caricatures de Mahomet. Auparavant le directeur de France Soir, Jacques Lefranc avait été immédiatement licencié par le propriétaire du titre pour avoir publié le premier ces documents interdits. Le patron de Jeambar, Serge Dassault, lui demanda d'interrompre le tirage du journal. "A qui je vais vendre mes rafales ?" Réflexion stupide, qui indiquait les choix d'un patron de grande firme entre ses affaires et l'information. Stupide, parce que comme beaucoup dans les milieux d'affaires, il ne comprend pas qu'on ne lui achètera pas ses avions parce qu'il se sera prosterné devant ses clients, mais parce qu'il aura été capable d'offrir un bon rapport qualité/prix. Ce n'est pas tout. Quand Jeambar rendit public cet épisode au cours du procès intenté à Charlie Hebdo pour "racisme", les nombreux journalistes présents quittèrent précipitamment le tribunal. Pour rédiger rapidement un scoop pensa Philippe Val. Or, le lendemain, rien dans la presse, sauf un entrefilet dans Libération. Pourquoi? Parce que les responsables éditoriaux avaient décidé de taire cette révélation. Loin des couplets sur l'éthique de la profession, ces exemples montrent que l'information est pilotée dans notre pays. Ce qui arrive aux yeux et aux oreilles de l'opinion est l'objet d'un soigneux filtrage.

D'autant que l'information entretient aussi des liens incestueux avec le pouvoir politique.

Il faut se souvenir du licenciement du journaliste de La Croix Alain Hertoghe. Rédacteur en chef du site Internet du quotidien, Hertoghe avait eu la mauvaise idée d'analyser les "une" des cinq principaux quotidiens nationaux pendant les trois premières semaines de l'offensive américaine en Irak de mars 2003. Il en avait tiré un ouvrage: "Guerre à outrances". Nos quotidiens nationaux avaient totalement déformé l'information sur la campagne américaine, ensemble, d'un même mouvement, annonçant après cinq jours "un gâchis semblable au Vietnam", "l'enlisement, le bourbier", puis "un nouveau Stalingrad devant Bagdad", alors qu'on avait affaire à une guerre éclair. Les motifs de cette désinformation au pas cadencé étaient sans doute multiples, mais elle répondait sûrement aux désirs du couple Chirac-Villepin totalement engagé à barrer l'initiative américaine. Entre la réalité des évènements et la nécessité de ne pas faire perdre la face à l'instance politique, la presse qui compte avait fait son choix et s'était moquée des Français. Cette outrance coûta son emploi au journaliste. Pire encore, la presse ne chercha même pas à se justifier. Sur les questions internationales, la soumission au pouvoir va de soi, elle est naturelle, en vertu des codes en vigueur : Hertoghe ne méritait donc pas la moindre réponse et on l'ignora.

Par quels canaux s'organisent ces liens efficaces entre le pouvoir et les hauteurs dominantes de l'information ? Dans un de ses ouvrages, Fort Matignon, Dominique Ambiel nous en donne involontairement un aperçu. Il fut le conseiller en communication de Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, et raconte sa vie quotidienne au sommet de l'état. "Le soir", écrit-il, "je proposais à des proches de venir partager le plateau-repas que je prenais dans mon bureau: (…) Il y avait bien sûr des journalistes: Arlette Chabot, Robert Namias, Jean-Pierre Elkabbach, Nicolas Domenach ou Patrick Poivre d'Arvor". Ces noms vous disent quelque chose ? Le "bien sûr" est le plus significatif. Il rappelle la réflexion de cette journaliste américaine qui suivait la campagne présidentielle de Sarkozy, en soulignant qu'elle était la seule à exiger de payer ses repas, une obligation professionnelle aux États-unis. Où est la déontologie ? Nos leaders de l'information étaient donc des commensaux habitués de Matignon. Que pouvaient-ils y faire, si ce n'est entendre les points jugés "essentiels" par l'équipage aux affaires pour les décliner ensuite au public ? Ces mœurs sont ancrées dans la bureaucratie jacobine française, et les plateaux-repas ont sans doute migré aujourd'hui de Matignon à l'Élysée. Mais l'information demeure pilotée, sous influence, du moins dans son courant central, le service public et les grands réseaux privés, qui dictent aux français ce qu'il faut penser sur les questions internationales.

C'est dans ces liens entre pouvoir et média et dans ce contrôle de la chaîne de production de l'information qu'il nous semble falloir trouver l'origine de l'incroyable campagne de diffamation d'Israël que le pays a connue. C'est d'ailleurs le "service public", le réseau le plus proches de l'état, qui a été le plus virulent. Le but politique recherché ? Faire pression sur Israël pour qu'il relâche sa pression militaire sur le Hamas, car on sait à Paris que les dirigeants israéliens sont très sensibles à l'opinion internationale. Ses effets ? Diviser la société française, légitimer et stimuler les courants extrémistes de l'immigration, accentuer les replis communautaires, différer ou compromettre l'intégration, activer dans nos banlieues les haines du Proche Orient, ouvrir les vannes de l'antisémitisme. Beaux résultats. Ceux peut-être qu'une information plus sérieuse, plus libre et équilibrée auraient permis d'endiguer, au bénéfice du véritable intérêt national.

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