Par RUTHIE BLUM LEIBOWITZ
Comme un incident attendu, mais qui nous prend pourtant par surprise au moment où il se produit, l'alerte "rouge" retentit. Avigdor Lieberman sourit et ses yeux bleus brillent malicieusement.
"C'est moi qui ai tout organisé, afin que vous compreniez bien", lance-t-il, en russe, au groupe de VIP qu'il escorte dans le sud pour leur permettre de comprendre le sens de l'opération Plomb durci.
Parmi eux : les ambassadeurs en Israël de Biélorussie, de Moldavie et d'Ouzbékistan, un diplomate ukrainien et les secrétaires d'ambassades de Russie et du Kazakhstan.
Quelques rires nerveux lui répondent, mais certains n'ont pas entendu sa remarque, tout occupés qu'ils sont à tenter de se mettre à couvert dans l'escalier où ils se tiennent tous blottis en attendant la fin de la sirène ou le bruit de l'explosion.
Comme ils sortent tout juste d'un appartement frappé par un missile Grad deux ou trois jours plus tôt, et peuvent constater les dégâts causés, l'expérience a encore plus de poids.
Enfin, l'explosion retentit au loin. Les invités et leur hôte émergent alors du bâtiment coincé entre un stand de fallafels et une enfilade de boutiques, près de la mairie d'Ashkelon, où ils avaient trouvé refuge un peu plus tôt.
Ils remontent dans leur car, laissant Lieberman et ses gardes du corps prendre place avec moi autour d'une table installée en plein air, pour quinze minutes d'interview.
Aussitôt, des dizaines d'habitants du quartier, originaires d'ex-Union soviétique ou sabras, s'approchent du président d'Israël Beitenou pour lui serrer la main ou lui exprimer leur soutien.
"Tu fais du bon boulot, continue !", lui crie un commerçant par-dessus le tapage. "C'est toi le meilleur !", renchérit un passant en gratifiant le député d'une tape amicale dans le dos. "Voilà notre prochain Premier ministre !", lance une femme en faisant mine de lui envoyer des baisers.
On ne saurait trop dire si Lieberman doit cet accueil à sa notoriété ou si celui-ci augure des résultats qu'il remportera aux élections du 10 février.
Toujours est-il que les sondages promettent à cet ancien ministre des Affaires stratégiques - qui a rejoint le gouvernement actuel en 2006 pour le quitter en janvier dernier - un ou deux mandats supplémentaires aux 11 qu'il a déjà à son actif.
Le personnage est pourtant sujet à controverse. Il est à la fois comparé au président iranien Ahmadinedjad par le mouvement La Paix maintenant au vu du plan de séparation qu'il a proposé l'an dernier. Et critiqué par bon nombre de militants de droite en raison de son intention de renoncer à certains territoires.
Mais il occupe de plus en plus de place sur la scène politique du pays. En tout cas, Lieberman est devenu fréquentable pour un spectre beaucoup plus large de la société.
Si, à l'origine, le noyau dur de son électorat était constitué d'immigrants originaires de l'ex-Union soviétique, une part croissante du public israélien commence à le considérer comme une option, en particulier parmi les laïcs de droite qui ont perdu leurs illusions quant au Likoud en général, et à Binyamin Netanyahou en particulier.
Une figure contestée
Deux nouveaux venus sur la liste de Lieberman témoignent d'ailleurs de cette tendance et comptent bien l'amplifier encore : Ouzi Landau, ancien député du Likoud, qui avait uni ses forces à celles de Netanyahou en 2005 pour tenter d'éjecter Ariel Sharon du fauteuil de chef de parti, avant de se présenter contre Netanyahou lui-même pour, en fin de compte, délaisser la course. Et l'ancien ambassadeur d'Israël aux Etats-Unis et coprésident de Nefesh Benefesh, Danny Ayalon. Ils apportent sur la table, ce que l'argent ne peut acheter : l'estampillage "Sabra".
Et aussi "des mains propres", chose qui, avant que la guerre à Gaza n'ait détourné l'attention de la campagne, représentait une composante cruciale aux yeux d'un électorat lassé des scandales et des affaires de corruption qui entachaient ses hommes politiques.
D'autant que Lieberman lui-même n'ignorait pas ce que sont les enquêtes de police. Mais le fait que ces enquêtes n'aient jamais débouché sur la moindre mise en accusation l'avait poussé à accuser le procureur général Menahem Mazouz d'intentions suspectes dans sa "chasse aux sorcières" ?
A cet homme de cinquante ans, résidant de l'implantation Nokdim, en Judée, qui a fait son aliya de Kishinev (Moldavie actuelle) en 1978, on reproche surtout son influence sur la mafia russe pour empêcher la faillite d'une banque autrichienne en manipulant la valeur du rouble.
Parmi les autres soupçons qui ont pesé sur lui : l'utilisation de dons illégaux pour financer la première candidature de son parti à la Knesset, en 1999.
Mais celui qui fut trois fois ministre est surtout connu aujourd'hui pour deux de ses convictions, sur lesquelles il ne fera aucun compromis : d'une part, les Arabes israéliens doivent prouver leur loyauté à l'Etat, d'autre part, il est indispensable de tout mettre en œuvre pour éradiquer la menace nucléaire iranienne.
L'échange rapporté ci-dessous a eu lieu quelques jours avant le cessez-le-feu unilatéral déclaré par Israël à Gaza et "l'accord" du Hamas d'adopter la même politique. Etant donné ses commentaires sur les objectifs de guerre de Tsahal, il va sans dire qu'il a exprimé, le dimanche suivant, un très vif déplaisir en apprenant les circonstances dans lesquelles l'armée israélienne s'est retirée de la bande de Gaza.
Jerusalem Post : En constatant les conséquences du désengagement de Gaza, ne remettez-vous pas en question la plate-forme de votre parti, qui prône un échange de territoires ? Le conflit entre Juifs et Arabes dans la région n'est-il réellement qu'une question de "transactions immobilières" ?
Avigdor Lieberman : Notre plate-forme n'a rien à voir avec l'immobilier. Bien au contraire, ce que nous affirmons sans la moindre équivoque, c'est que nous sommes totalement opposés à ce qui était et reste toujours le principe de base de la politique étrangère israélienne : "la paix contre les territoires".
Nous avons suffisamment d'exemples qui démontrent que cette formule ne fonctionne pas, notamment le fait que nous avons évacué Gaza jusqu'au dernier millimètre et que, en échange, nous avons eu les Kassams et le Hamas.
Même chose au Liban, avec le Hezbollah et les Katiouchas. C'est pourquoi nous affirmons qu'il est impossible d'espérer "la paix contre les territoires". Il y a soit "la paix contre la paix", soit l'échange de territoires et de populations.
Je me souviens m'être disputé avec Ariel Sharon, au sein du gouvernement, à l'époque du désengagement.
Je lui ai dit : "Regardez : vous êtes en train d'établir un Etat palestinien exempt de tout Juif. Vous vous êtes engagé à évacuer toutes les implantations juives, afin qu'il y ait un Etat palestinien homogène.
Et, parallèlement, Israël se dirige vers un Etat binational qui compte plus de 20 % d'Arabes. Ce type de concept ne peut survivre.
Et, si vous avez déjà décidé d'aller vers une solution à deux Etats, pourquoi y en a-t-il un qui est un Etat et demi, sachant que tous les Arabes israéliens s'identifient aux Palestiniens, tandis que l'autre n'est qu'un demi-Etat ? Si l'objectif est de constituer deux Etats, qu'il y ait au moins deux Etats pour deux peuples !"
J'ai cité le modèle de Chypre. Cette île était autrefois dans la situation que nous connaissons nous-mêmes aujourd'hui : les Grecs et les Turcs vivaient ensemble et il y avait sans cesse entre eux des frictions, qui se manifestaient par des effusions de sang et du terrorisme.
En 1974, on a placé 100 % des Turcs du côté nord de l'île et 100 % des Grecs du côté sud. Jusqu'à ce jour, aucun accord de paix n'a été signé et pourtant, l'île connaît la stabilité, la sécurité et la prospérité. Telle est précisément notre ambition.
J.P. : Si vous vous êtes disputé sur ce point avec Ariel Sharon, pourquoi diable avez-vous accepté de rejoindre le gouvernement dirigé par Ehoud Olmert ?
A.L. : Pour moi, la principale menace existentielle qui plane sur Israël ne vient ni des Palestiniens ni du Liban, mais de l'Iran. L'Iran a pris un avantage stratégique sur Israël en établissant une frontière avec nous, même si nous n'avons pas de frontière avec lui.
Il existe trois Iran : celui représenté par le Hezbollah au Liban, celui représenté par le Hamas et le Djihad islamique à Gaza, et celui qui possède des armes non conventionnelles et des missiles longue portée. Sans l'Iran, il n'y a ni Hezbollah ni Hamas ni Djihad islamique, puisque le budget de ces organisations, leurs armes, leur technologie et leur entraînement viennent en majeure partie de la République islamique. Sans le soutien iranien, aucun de ces groupes ne pourrait exister.
En outre, l'Iran n'entre pas dans notre débat interne. Il ne divise pas Israël de l'intérieur. Il n'existe aucun différend essentiel entre Yossi Beilin [ancien député Meretz] et Avigdor Lieberman au sujet de l'Iran.
Personne ne suggère d'annexer ce pays, de le libérer ou d'y établir des implantations.
Beilin se propose de lui donner une gifle de gauche et moi, une de droite, mais nos points de vue ne divergent pas à ce sujet comme ils divergent en ce qui concerne le Golan ou la Judée-Samarie.
En tant que pays normal, nous devrions donc nous concentrer sur le problème iranien et nous débarrasser d'abord de cette menace, afin de pouvoir ensuite recommencer à nous disputer.
Autrement dit, mon idée était de déplacer le débat, de mettre un peu de côté les Palestiniens pour parler de l'Iran. Nous l'avons fait durant un an, jusqu'à ce qu'Olmert aille à Annapolis. Dès qu'il en est revenu et qu'il a commencé à négocier sur les problèmes de fond, nous avons quitté le gouvernement.
J.P. : Quand l'ancien ministre du Likoud Ouzi Landau a rejoint votre parti, il a expliqué que, même s'il ne partageait pas votre opinion pour ce qui était de l'échange de territoires et du déplacement des populations, il pouvait malgré tout fermer les yeux là-dessus, car ce ne serait pas à l'ordre du jour avant si longtemps, que cela n'avait pas grande importance. Etes-vous d'accord avec lui ?
A.L. : Je ne sais pas. Tout est si imprévisible dans notre région que je ne veux pas tirer de plans sur la comète. Ce que je veux, en revanche, c'est disposer de programmes d'urgence, afin de ne jamais être pris au dépourvu. Je veux être prêt à n'importe quelle éventualité qui se présenterait.
Nul ne sait ce qui peut se produire. Après tout, qui avait prévu les événements en Irak, en Iran, en Afghanistan, au Pakistan ou au sein de l'Autorité palestinienne ? Mais nous savons ce que nous avons vécu au cours des vingt dernières années, et c'est pourquoi il faut nous tenir sur le qui-vive et être capables d'affronter n'importe quel problème susceptible de surgir.
Par ailleurs, je n'attends pas de chaque membre de mon parti qu'il partage à 100 % les points de vue de tous les autres sur tous les problèmes. On est parfois d'accord à 95 %, 90 % ou même 80 %. Mais nous ne sommes pas comme le Likoud. Pour ma part, par exemple, je ne vois pas bien quel est le dénominateur commun entre un Moshé Feiglin et un Dan Meridor. De telles différences ne pourraient pas exister dans notre parti.
J.P. : Danny Ayalon a récemment affirmé au Jerusalem Post que, si le leader de l'opposition Binyamin Netanyahou devenait Premier ministre et formait une large coalition avec Kadima et les Travaillistes, comme il l'a dit, il est hors de question qu'Israël Beitenou le rejoigne. Est-ce exact ?
A.L. : Je ne vois pas la moindre chance que Netanyahou forme une coalition à la fois avec Kadima et avec les Travaillistes. Il est vrai qu'il a évoqué un gouvernement d'union nationale, mais son intention, telle que je l'ai comprise, du moins, est d'abord de former une coalition nationale, puis de déterminer lequel des deux partis, entre Kadima et les Travaillistes, serait prêt à s'y joindre. D'ailleurs, quand j'ai discuté avec Netanyahou hier, c'était son approche.
J.P. : Pour en revenir à la plate-forme de votre parti, même si Israël a transféré de force les Juifs qui habitaient le Goush Katif ou le nord de la Samarie, n'est-il pas irréaliste d'imaginer que quiconque, dans ce pays ou à l'étranger, accepterait que l'on déracine ne serait-ce qu'un seul Arabe ?
A.L. : Nous ne proposons pas de déplacer des populations. Nous parlons de déplacer la frontière. De cette façon, les gens pourront rester dans leurs maisons et sur leur terre.
J.P. : Mais cela n'est-il pas un peu irréaliste, sachant que la frontière devra tracer des circonvolutions et que cela créera des enclaves ?
A.L. : On ne peut pas séparer l'ensemble des populations, mais il est toutefois possible de le faire avec une large portion des gens. Tous les villages arabes situés sur la ligne entre nous et Oum-el-Fahm, par exemple, ne bougeront pas. C'est la frontière que nous déplacerons.
Ainsi, nous n'aurons plus à leur verser d'allocations chômage, à leur rembourser leurs frais de santé ou à financer leurs écoles. Nous ne serons plus obligés de les subventionner.
J.P. : Dans ces conditions, que se passera-t-il s'ils se comportent comme la population de Gaza et si, au lieu de bâtir leur société, ils accumulent de l'armement et nous envoient des missiles ?
A.L. : Comme face à n'importe quel pays qui se comporterait agressivement à notre égard, qu'il s'agisse de la Syrie ou du Liban, nous réagirons en conséquence.
J.P. : Etes-vous en train de dire que, en cas de nécessité, Israël entrerait en guerre contre un tel Etat palestinien ?
A.L. : Absolument. Vous avez vu ce qui s'est passé quand le terrorisme était rampant en Judée-Samarie ? Nous avons lancé l'opération "Bouclier".
J.P. : Au cours d'un voyage dans le Sud, le ministre de la Justice Daniel Friedmann a déclaré qu'aucun arrangement ne serait conclu avec Gaza sans faire de la libération de Gilad Shalit une condition sine qua non.
A.L. : Je pense qu'il est évident que tout accord doit inclure Shalit.
J.P. : Pensez-vous que cette opération s'achèvera autrement que la seconde guerre du Liban ? Le cessez-le-feu va-t-il impliquer un retrait de la part de l'armée israélienne et une reprise, en conséquence, de l'accumulation d'armements ?
A.L. : J'espère que non. Je voudrais qu'Israël prenne au minimum le contrôle sur le point de passage de Rafiah et le couloir de Philadelphie. S'il ne le fait pas, toute cette opération n'aura eu aucun intérêt.
J.P. : Et détruire complètement le Hamas ? N'était-ce pas également ce que vous espériez ?
A.L. : Au bout du compte, Israël ne pourra vivre en paix et en sécurité tant que le Hamas restera au pouvoir. Il nous faut donc obtenir un résultat décisif, ce dont le gouvernement actuel n'est pas capable.
Et obtenir un résultat décisif, dans le cas présent, signifie détruire la motivation du Hamas et sa volonté de continuer à nous combattre, exactement comme les Etats-Unis l'ont fait avec l'Allemagne et le Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont tout simplement renoncé à l'option militaire. C'est cela, briser l'ennemi.
J.P. : Mais cela peut-il être réalisé sans, au préalable, briser l'Iran ?
A.L. : Comme je l'ai dit, la source est l'Iran. Et nous devons accomplir ce qui doit être accompli.
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