3 février 09 - La Commission arabe des droits humains, basée à Paris, pourrait se voir retirer, à la demande de l’Algérie, son accréditation auprès de l’ONU. Un dangereux précédent, selon l’ONG.
Carole Vann, Juan Gasparini/Infosud -
L’affaire fait grand bruit dans l’enceinte du Palais des Nations à Genève : l’ONU devrait suspendre, à la demande de l’Algérie, le statut consultatif d’une organisation des droits de l’homme arabe. Motif : l’un de ses représentants appartiendrait à une organisation inscrite sur la liste 1267 du Conseil de sécurité pour activités terroristes.
La décision a été adoptée vendredi à New York, suite au vote du Comité des Organisations non gouvernementales, un organe du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) chargé d’étudier les demandes d’accréditations des ONG auprès de l’ONU. Les 19 pays membres ont voté à une très large majorité (avec une seule abstention des Etats-Unis) la suspension pour une année de la Commission arabe des droits humains (CADH). Cette décision devra être validée à la prochaine réunion de l’ECOSOC en juillet à Genève.
« Cette décision démesurée crée un précédent grave au sein de l’ONU », s’insurge le Tunisien Abdel Wahab Hani, représentant permanent de l’ONG à Genève depuis janvier 2009. La CADH, accréditée à l’ONU depuis 2004, suit de près les travaux du Conseil des droits de l’homme.
Retour sur image pour comprendre les circonstances de cette suspension : le 10 juin 2008 à Genève, l’Examen périodique universel passe au crible l’Algérie. Dans le cadre de cet examen, Rachid Mesli dresse, au nom de la CADH, le sombre tableau des abus de ce gouvernement : torture, arrestations arbitraires, disparitions forcées. L’orateur, avocat algérien réfugié en Suisse depuis 2000, a lui-même connu la disparition forcée, la torture et a séjourné près de 4 ans dans les geôles algériennes A sa libération fin 1999, il obtient l’asile politique en Suisse et y poursuit son action d’avocat des droits de l’homme. Il a ainsi soumis auprès de l’ONU des centaines de dossiers de victimes algériennes.
Mandat d’arrêt international
Deux mois plus tard, le 22 août, Idriss Jazaïri, ambassadeur algérien auprès de l’ONU, déplore en séance plénière qu’un membre d’une ONG « faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international pour appartenance à un groupe terroriste armé » puisse prendre la parole devant le Conseil des droits de l’homme. Le diplomate fait référence au GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), un groupe armé algérien qui figure sur la liste des organisations terroristes dressée par les Etats Unis en 2002. Cette même plainte est formulée le 18 janvier dernier auprès de l’ECOSOC à New York. L’Algérie y demande l’exclusion de la CADH.
« Ces allégations sont ridicules et infondées, réagit Rachid Mesli. Les autorités algériennes ne supportent pas ceux qui dénoncent les violations des droits de l’homme en Algérie. Elles ont même par le passé accusé Amnesty International de terrorisme ! »
Pour Abdel Wahab Hani, l’ONU fait un amalgame entre le CADH et un présumé passé de Rachid Mesli. Le Tunisien dénonce aussi des irrégularités dans la plainte algérienne. « Elle a été déposée à la dernière minute, ce qui nous a privés de toute capacité de défense », note-t-il.
Par ailleurs, Rachid Mesli ne représente plus la CADH depuis le 31 décembre 2008. Lors de son intervention, le 10 juin, Mesli avait associé le nom de sa propre association Al Karama (fondée en 2004, non dotée du statut consultatif) à celui de la CADH. Mais l’avocat algérien reste dans le collimateur de l’Algérie. Il a notamment soumis en 2001 les dossiers de Abbassi Madani et Ali Belhadj (deux principaux leaders du Front islamique du salut - FIS) au Groupe de travail sur les détentions arbitraires. L’organe onusien a reconnu que les deux leaders du FIS étaient détenus suite à un procès inéquitable.
Alkarama
Basée à Genève, Alkarama (l’honneur) enquête et dénonce la torture, la détention arbitraire, les disparitions forcées, les exécutions extra-judiciaires et les procès inéquitables. En quatre ans, l’ONG arabe a déposé des milliers de plaintes auprès des organes ad hoc du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Et ce au nom de victimes des Etats d’Arabie saoudite, de Bahreïn, de Syrie, de Libye, du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, etc. Financée par des fonds privés, Alkarama a des bureaux à Londres (Royaume-Uni), Beyrouth (Liban), Doha (Qatar), Sanaa (Yémen), ainsi qu’un réseau de militants dans tous les pays arabes.
L’Algérie et les traités internationaux
l’Algérie a ratifié quasi tous les traités internationaux, notamment ceux relatifs aux droits de l’homme (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), la Convention des Nations unies contre la torture, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ainsi que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
L’Algérie a refusé les visites du rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (2007), celui sur les exécutions extra-judiciaires (2007), celui sur les abus dans la lutte contre le terrorisme (2007), ainsi que le groupe de travail sur les questions de disparitions forcées (2006). En 2007, Alger était épinglé par le Comité des droits de l’homme pour les nombreux abus dans le pays et le manque de coopération du gouvernement.
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