Le drame du monde actuel, c’est qu’un Etat sur deux ne fonctionne pas.
On compte actuellement deux cents dix Etats souverains dans le monde : quarante-sept en Europe, trente-sept dans les Amériques, quarante-sept en Asie, cinquante-cinq en Afrique, quatorze en Océanie. Cinquante d’entre eux existaient déjà en 1914, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les cent soixante autres sont apparus par vagues successives : à l’issue de la Première Guerre mondiale, entre 1918 et 1923 ; à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, entre 1945 et 1951 ; lors de la « décolonisation », entre 1957 et 1975 ; et enfin après la chute de l’Empire soviétique, entre 1989 et 1992.
Un Etat souverain, c’est un gouvernement, un pouvoir, qui se fait obéir à l’intérieur d’un territoire. Peu importe a priori la nature de ce pouvoir (monarchie, dictature, démocratie, théocratie), ou son origine (droit divin, révolution, putsch, élections), dès lors qu’il assure le minimum nécessaire à la vie en société : la sûreté des biens et des personnes. Bien entendu, certains Etats sont puissants et riches, d’autres faibles et pauvres ; certains contrôlent des superficies considérables, d’autres des domaines exigus ; certains encadrent d’immenses populations, d’autres ne comptent que quelques milliers de sujets ; certains, enfin, n’existent que parce que d’autres, mieux dotés par le destin, y ont intérêt. Mais ils sont tous tenus pour souverains, légitimes, égaux en droits et prérogatives dans la mesure où ils fonctionnent. Cette règle, que l’Europe inventa en 1648, lors des traités de Westphalie, et qu’elle imposa ensuite au reste du monde, constitue aujourd’hui la base même du droit international.
Le drame du monde actuel, c’est qu’un Etat sur deux, un Etat considéré comme souverain et légitime sur deux, ne fonctionne pas. Certains Etats ont disparu en tant que tels : la Somalie, par exemple. D’autres ne contrôlent plus qu’une partie de leur territoire : la République démocratique du Congo, ex-Zaïre, la Côte d’Ivoire, mais aussi Chypre, membre de l’Union européenne. D’autres encore n’existent que dans le cadre d’une occupation ou d’une protection étrangère ou internationale : la Bosnie et le Kosovo, gouvernés par l’Otan, la République turque de Chypre du Nord, protectorat de la Turquie proprement dite. Et que dire des Etats dits faillis, qui existent encore, et échappent encore aux interventions extérieures, mais n’assurent plus, en leur sein, le respect de la loi, quelle qu’elle soit, et donc la sûreté des biens et des populations : la plus grande partie de l’Afrique, de nombreux pays d’Asie, de nombreuses républiques ex-soviétiques et une partie de l’Amérique latine ? La revue américaine de géopolitique Foreign Policy , qui aborde ce problème dans son numéro de mars-avril, mentionne le Mexique, pays colossal, voisin immédiat des Etats-Unis, qui semble entré dans un tel processus.
La France métropolitaine est un Etat fonctionnel - dans certaines limites. On sait que tous les gouvernements de la Ve République, de droite comme de gauche, reculent devant la rue. On sait que des périmètres de non-droit existent toujours sur le sol français, en l’an II et bientôt l’an III de Nicolas Sarkozy. Outre-mer, la situation est plus préoccupante encore. A quel prix la France administre-t-elle la Corse ? Combien de temps maintiendra-t-elle la fiction de Dom-Tom parfaitement intégrés à la République ?
Il n’y a qu’un seul Etat dont l’existence même ait été remise en question dès sa création, voici plus de soixante ans, et que d’autres Etats, membres, comme lui, de la communauté internationale et plus spécifiquement de l’Organisation des Nations Unies (Onu), refusent toujours de reconnaître ou veulent détruire. Un seul, sur plus de deux cents, que des intellectuels, des philosophes, des penseurs, récusent en tant qu’Etat. Un seul dont des essayistes et des journalistes annoncent, préconisent ou parfois redoutent la disparition. Pourtant, il fonctionne bien, protège tous ses citoyens, y compris ceux qui font allégeance à des puissances étrangères, pratique la démocratie et met en vigueur les droits de l’hommes. Cet Etat, on l’aura compris, c’est Israël.
Michel Gurfinkiel pour michelgurfinkiel.com
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire