Ne s'agit-il pas d'incitation à la haine antisioniste ?



par Judea Pearl
président de la Fondation Daniel Pearl
pour Los Angeles Times

Titre original : Is anti-Zionism hate?

Traduction : Marc Brzustowski

Rédaction d'Objectif-info :
Dans ce remarquable article, constatant qu'un festival de haine venait de se dérouler au cours d'un symposium à l'UCLA, Judea Pearl nous offre comme à l'accoutumée une réflexion formidablement intelligente. Il montre qu'en refusant aux Juifs les droits nationaux de tous les peuples, l'antisionisme est pire encore que l'antisémitisme. Non seulement il néglige que l'identité juive, essentiellement laïque en Israël et aux Etats-unis, est aujourd'hui davantage liée à une histoire partagée qu'à une religion, mais de plus, il met en cause la sécurité d'au moins 5 millions de Juifs.


Bien sûr. L'antisionisme est plus nocif que l’antisémitisme, en menaçant les vies et la paix au Moyen-Orient.

En janvier, lors d’un symposium à l’UCLA (orchestré par le Centre d’Études sur le Proche-Orient), quatre détracteurs d’Israël, connus de longue date, étaient invités à analyser les conditions des droits de l’homme à Gaza, et ont utilisé cette tribune pour attaquer la légitimité du Sionisme et sa vision d’une solution à deux États pour Israël et les Palestiniens.

Ils ont criminalisé l’existence d’Israël, déformé ses motivations profondes et diffamé son caractère, sa naissance et même sa conception. A un certain point, ils ont excité l’assistance par des slogans et aurait notamment scandé « Sionisme égale Nazisme » et pire encore.

Les dirigeants des organisations juives ont condamné ce festival de haine comme une dangereuse incitation à l’hystérie antisémite, ont souligné l’effet dévastateur qu’il avait eu sur les étudiants de l’UCLA et son impact sur un campus renommé pour son atmosphère ouverte et courtoise. Les organisateurs, dont quelques-uns sont juifs, se sont réfugiés derrière la « liberté académique » et l’argument disant que l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme.

Je soutiens totalement ce slogan, non parce qu’il exonère les antisionistes de l’accusation d’antisémitisme, mais parce que cette distinction nous aide à focaliser notre attention sur son caractère discriminatoire, comme immoral et comme la plus dangereuse expression de l’antisionisme.

L’antisionisme rejette la notion la plus élémentaire que les Juifs forment une nation – un destin collectif se nouant à travers une histoire commune- et, par conséquent, dénie aux Juifs le droit à leur auto-détermination sur leur lieu de naissance historique. Il poursuit le projet de démantèlement de l’État-nation juif : Israël.

L’antisionisme mérite son caractère discriminatoire en déniant au peuple juif ce qu’il accorde aux autres collectivités constituées (par exemple : les Français, Espagnols, Palestiniens), nommément, le droit de se forger une nation, l’auto-détermination et la coexistence légitime avec d’autres requérants indigènes.

L’antisémitisme rejette les Juifs en tant que membres égaux de la race humaine ; l’antisionisme rejette Israël en tant que membre à part entière de la grande famille des nations.

Les Juifs sont-ils une nation? De nombreux philosophes argueraient que les Juifs constituent d’abord un peuple et secondairement une religion. Par ailleurs, la narration de l’Exode et la vision de la traversée vers la terre de Canaan se sont imprimées dans l’esprit du peuple juif avant qu’il reçoive la Torah au Mont Sinaï. Mais, philosophie mise à part, la conviction partagée de leur éventuel rapatriement sur leur lieu de naissance historique a constitué le moteur alimentant la persévérance et les espérances juives à travers le périple tourmenté qui a commencé avec l’expulsion romaine en l’an 70.

Plus important, l’histoire partagée, et non la religion, est aujourd’hui la force unitaire primordiale au principe de la société laïque, multi- ethnique d’Israël. La majorité de ses membres ne pratique pas les règles religieuses et ne croit pas en une transcendance divine ou dans la vie après la mort. La même chose s’applique au Judaïsme américain, qui est, de même, largement laïque. L’identification à un ethos historique commun, culminant à travers la renaissance de l’État d’Israël, est le nœud central de la collectivité juive en Amérique.

Il existe, bien sûr, des Juifs qui sont non-sionistes et même antisionistes. Le culte ultra-orthodoxe de Neturei Karta et le culte gauchiste de Noam Shomsky en sont des exemples notables. Le premier rejette toute tentative terrestre d’interférer avec le projet messianique de D.ieu, alors que le second déteste toutes les formes de nationalisme, et plus spécialement, celles qui réussissent.

Il y a aussi des Juifs qui trouvent difficile de défendre leur identité contre la perversité croissante de la propagande anti-israélienne, et qui, éventuellement cachent, renient ou dénoncent leurs racines juives, en leur préférant la reconnaissance sociale et autres commodités.

Mais ce sont là, au mieux, des minorités marginales ; les forces vives de l’identité juive, actuellement, se nourrissent de l’histoire juive et de ses dérivés naturels – l’État d’Israël, sa lutte pour la survie, ses réalisations culturelles et scientifiques et son inlassable quête de la paix.

Selon cette approche de l’idée de nation juive, l’antisionisme est, de plusieurs manières, plus nocif que l’antisémitisme.

Premièrement, l’antisionisme prend pour cible la partie la plus vulnérable du peuple juif, précisément, la population juive d’Israël, donc la sécurité physique et la dignité personnelle dépend de façon cruciale du maintien de la souveraineté d’Israël. Dit de manière brutale, le projet antisioniste d’en finir avec Israël condamne 5 millions et demi d’êtres humains, la plupart d’entre eux réfugiés ou enfants de réfugiés, à vivre éternellement sans défense dans une région où les incitations génocidaires ne sont pas rares.

Deuxièmement, les sociétés modernes ont développé des anticorps contre l’antisémitisme, mais pas contre l’antisionisme. Aujourd’hui, les stéréotypes antisémites provoquent la répulsion chez la plupart des gens de conscience, alors que la rhétorique antisioniste est devenue un signe de sophistication académique et de reconnaissance sociale, dans certains cercles autorisés de l’université américaine et de l’élite médiatique. L’antisionisme se travestit sous la grande cape du débat politique, en s’exonérant du sens et des règles de la civilité qui président au discours interreligieux, pour s’attaquer au symbole le plus cher de l’identité juive.

Finalement, la rhétorique antisioniste est un couteau planté dans le dos du camp de la paix israélien, qui soutient, de façon écrasante, la solution pour deux États. Il donne aussi une crédibilité aux ennemis de la coexistence qui proclament que l’éventuelle élimination d’Israël est l’agenda secret de tout Palestinien.

C’est l’antisionisme, dès lors, et non l’antisémitisme qui pose une menace existentielle bien plus dangereuse à la vie, au triomphe historique de la justice et aux efforts de paix au Moyen-Orient.


Judéa PEARL est professeur à l’UCLA (Université de Los Angeles) et Président de la Fondation Daniel PEARL

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