Le Sommet de Doha : une défaite pour le camp égypto-saoudien



De : Y. Yehoshua
Dans l'expectative du Sommet de Doha de fin mars 2009, l'Egypte et l'Arabie saoudite avait posé comme condition à leur présence la non participation du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Parallèlement, l'Arabie saoudite et la Syrie avaient tenu plusieurs réunions au plus haut niveau pour tenter d'apaiser les tensions entre leurs deux pays. Il s'agissait aussi pour l'Arabie saoudite de tenter de faire passer la Syrie du camp iranien au camp arabe. Lors de ces entretiens, les deux côtés s'étaient entendus sur la formulation de la déclaration devant être prononcée pour conclure le Sommet de Doha, ce qui avait même fait l'objet d'un article de presse à la veille du Sommet. Malgré ces aménagements, le président égyptien Hosni Moubarak a décidé de ne pas participer au Sommet (officiellement en raison de désaccords avec le Qatar), envoyant un ministre de moindre importance représenter l'Egypte. En revanche, l'Arabie saoudite était représentée par le roi Abdallah d'Arabie saoudite en personne.

Les pressions égypto-saoudiennes ont permis d'empêcher l'envoi d'une invitation au président iranien et aux représentants du Hamas, qui avaient été invités au précédent Sommet de Doha (janvier 2009). Toutefois, le déroulement du Sommet et la déclaration finale, ainsi que les déclarations du président syrien Bashar Al-Assad et d'autres intervenants syriens après le Sommet, mettent en évidence la défaite de l'Arabie saoudite et de l'Egypte.

Le président syrien Bashar Al-Assad, hôte du précédent Sommet de la Ligue arabe à Damas, et l'Emir du Qatar Hamad bin Khalifa Aal Thani, hôte du dernier sommet, ont prononcé des discours exprimant avec force la position de l'axe Iran-Syrie-Qatar. En revanche, le roi Abdallah d'Arabie saoudite ne s'est pas exprimé. Le dirigeant libyen Kadhafi a même lancé des insultes à l'encontre du roi. Malgré cela, ce dernier s'est consécutivement entretenu avec lui, face à l'insistance de l'Emir du Qatar.

Le Premier ministre qatari et ministre des Affaires étrangères Hamad bin Jasim bin Jaber Aal Thani a évoqué le fait que le président iranien et les dirigeants du Hamas n'avaient pas été invités au Sommet, précisant que ce qui était déterminant n'était pas la présence ou l'absence de ces derniers, mais les causes qu'ils représentaient, qui devaient être entendues au Sommet. (1) Et de fait, le déroulement du Sommet révèle que l'influence iranienne y était très forte. (2)

Après le Sommet, le président syrien l'a qualifié de "sommet le plus réussi des vingt dernières années". (3) Le camp irano-syrien peut en effet se vanter des succès suivants :

1) La "menace iranienne" n'a à aucun moment été évoquée, alors que celle-ci se trouve au cœur de l'alliance égypto-saoudienne et a engendré une guerre froide entre les deux camps opposés. (4)

2) Des conditions ont été ajoutées à l'Initiative de paix saoudienne, la rendant conditionnelle non plus uniquement de l'acceptation d'Israël, mais également à un commencement d'application par Israël des obligations découlant des documents faisant autorité selon l'Initiative : les Résolutions de l'ONU 242 et 338 (qui, contrairement à l'Initiative elle-même, n'engagent pas tous les Etats arabes à la normalisation). (5)

3) L'accent a té mis sur l'option de la résistance dans le discours de Bashar Al-Assad.

Les jours suivants, des responsables syriens ont formulé la position arabe adoptée au Sommet conformément à l'approche de l'axe irano-syrien, sans recevoir de réaction des Saoudiens. Ainsi, le président Al-Assad a déclaré : "[A Doha], nous avons dit que [l'Initiative de paix arabe] a été suspendue, qu'elle est morte. La vérité est qu'elle est [bien] suspendue et morte." (6) Assad a précisé que, en rendant l'Initiative conditionnelle à l'accord d'Israël, les Arabes l'avaient déjà suspendue dans les faits. La ministre syrienne Buthaina Sha'ban, conseillère politique et médiatique d'Assad, a déclaré au quotidien saoudien Al-Watan que "la situation actuelle nécessite un retour aux Résolutions 242 et 338." (7)

Revenant sur le Sommet de Doha, le quotidien iranien Kayhan affirme que l'Arabie saoudite s'est vue forcée de se montrer conciliante à l'égard de la Syrie et du Qatar et d'accepter ces deux pays comme un axe arabe émergeant, et que le retraite saoudienne de son ancien positionnement anti-iranien révèle la faiblesse de son régime. (8)

Des experts saoudiens de renom, comme Abdel Rahman Al-Rashed, directeur général de la télévision Al-Arabiya, ou encore Tareq Al-Homayed, rédacteur en chef d'Al-Sharq Al-Awsat, se sont déclarés déçus par les Sommet et ont appelé à l'annulation des prochains sommets arabes (le prochain devant se réunir en Libye). Al-Rashed a même affirmé que le président égyptien Hosni Moubarak avait bien fait de ne pas s'y rendre, estimant : "Les Arabes n'ont pas besoin de sommets. Ils ont besoin de pain, de travail et de paix." (9)
Consulter le rapport intégral en anglais, contenant des déclarations de dirigeants arabes et iraniens sur le Sommet de Doha : http://memri.org/bin/latestnews.cgi?ID=IA51009.

Notes :

1] Al-Jazeera TV, 28 mars 2009.
[2] Voir l'article de Zuhair Kseibati's dans Al-Hayat (Londres), 2 avril 2009.
[3] Al-Sharq (Qatar), 2 avril 2009.
[4] Voir l'Enquête et analyse n° 492 de MEMRI "An Escalating Regional Cold War - Part 1: The 2009 Gaza War," 2 février 2009, http://www.memri.org/bin/articles.cgi?Page=archives&Area=ia&ID=IA49209.
[5] La capitulation de l'Arabie saoudite face aux pressions syriennes et iraniennes avant et pendant le Sommet nécessite une explication, vu qu'elle intervient après de longs mois où l'Arabie saoudite n'a cessé de manifester son soutien à l'Initiative (même pendant la Guerre de Gaza), résistant aux appels à s'en retirer. Ce changement pourrait s'expliquer par l'un des facteurs suivants : l'agitation sociale au sein du Royaume ces dernières semaines, la faiblesse du roi Abdullah, l'ajustement à la politique du président américain Barack Obama, encourageant le dialogue avec la Syrie et l'Iran, la victoire électorale de la droite en Israël.
[6] Al-Sharq (Qatar), 2 avril 2009.
[7] Al-Watan (Arabie saoudite), 1er avril 2009.
[8] Kayhan (Iran), 5 avril 2009.
[9] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 1er avril 2009.

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